Svoboda | Graniru | BBC Russia | Golosameriki | Facebook


  • images
  • artistes
  • auteurs

L'autoportrait de Van Gogh � l'oreille band�e

par Georges Roque

D�but janvier 1889, Vincent Van Gogh peint � Arles une de ses �uvres les plus poignantes : L'Autoportrait � l'oreille band�e. La toile, de petit format, fait suite � un �pisode terrible dont elle rend compte : le geste par lequel il s'est tranch� l'oreille d'un coup de rasoir Bibliographie.

Van Gogh a choisi courageusement de se repr�senter peu de temps apr�s le drame, et � peine rentr� chez lui, dans l'�tat o� il se trouvait, soit l'oreille prot�g�e par un pansement maintenu par un bandage lui entourant le visage.

Ce portrait sans complaisance, il l'a r�alis� par deux fois, puisqu'il en existe deux versions, dont seule la seconde nous retiendra ici. En savoir plus



Les deux portraits d�gagent une impression de r�signation mais aussi d'apaisement. Les traits sont tir�s, la m�choire crisp�e, et le regard, perdu dans le lointain, semble indiquer une grande tristesse, une certaine lassitude. [voir 01]

Dans le portrait qui nous int�resse, la pipe contribue pour beaucoup � donner l'impression d'une sorte de s�r�nit� retrouv�e, d'une paix ou d'une tranquillit�, d'ordinaire associ�e aux fumeurs de pipe. [voir 02]

La premi�re impression ainsi caract�ris�e, il convient de se demander pourquoi Van Gogh a-t-il choisi de se repr�senter ainsi ?

La premi�re r�ponse qui vient � l'esprit est qu'il a voulu rassurer ses proches, son fr�re, bien s�r, sa famille, et ses amis peintres, dont Gauguin, en premier lieu, qui venait de le quitter apr�s avoir appel� Th�o � la rescousse. Toutes ses lettres apr�s l'incident de l'oreille et le d�lire qui l'accompagne vont dans ce sens Bibliographie .

Cependant, si Van Gogh cherche � rassurer les autres, il cherche aussi � se rassurer lui-m�me, � se prouver que la crise est d�sormais termin�e et qu'il est � nouveau capable de travailler.



Mais comment s'op�re cette transformation, cet apaisement, ce travail sur soi au travers de la peinture visant � se tranquilliser comme � tranquilliser les autres ? Comment fonctionne ce�" je ne suis pas fou, puisque, comme vous pouvez le voir, je continue de peindre, je reprends la peinture " ?



Sur le plan iconographique, l'accessoire de la pipe joue ici un grand r�le. Si le bandeau t�moigne du drame, ce qui fait que ce drame est maintenant pass�, c'est le pr�sent de la pipe, de la pipe qu'il fume et qui l'aide � retrouver une certaine tranquillit� d'esprit apr�s l'agitation extr�me des semaines pr�c�dentes. La pipe s'oppose donc au bandage, comme le pr�sent au pass� maintenant r�volu, comme la tranquillit� retrouv�e au drame surmont�.

[voir 03]

Les couleurs



Jusqu'ici je ne me suis int�ress� qu'� l'aspect iconique de la composition (expression du visage, bandage, pipe). Or l'organisation des couleurs �tait l'une des principales pr�occupations de Van Gogh � cette �poque ; aussi rien n'est laiss� au hasard . Bibliographie

Dans la toile qui nous occupe, on remarque le fond, divis� en deux zones, rouge en bas et orang� en haut, avec des touches plus jaunes dans la partie sup�rieure ; le bonnet est bleu � l'arri�re et violet � l'avant ; enfin la veste est verte. [voir 04]



Comment se distribuent ces couleurs et quels rapports entretiennent-elles entre elles ? Dans deux cas, Van Gogh a juxtapos� des couleurs proches sur le cercle chromatique : rouge et orang� (mur du fond), bleu et violet (bonnet) ; ces couleurs forment ce qu'on appelait une harmonie d'analogue, puisqu'elles sont proches l'une de l'autre et se combinent donc sans se heurter. [voir 05]

Mais � ces harmonies d'analogues s'opposent les harmonies de contraste, celles obtenues en juxtaposant des couleurs compl�mentaires, les trois couples de compl�mentaires �tant � l'�poque vert et rouge, violet et jaune, bleu et orang�. [voir 06]

Or si l'on regarde � nouveau la toile, il est frappant de constater que la partie inf�rieure est organis�e autour de l'opposition massive entre vert (la veste) et rouge (le fond) ; dans la partie sup�rieure gauche, domine la juxtaposition de l'orang� avec le bleu ; quant au violet, il fait pendant aux touches de jaune dans le haut de la toile. [voir 07]



Ainsi, on le voit, toutes les couleurs ont �t� choisies afin de contribuer � l'harmonie du tableau et � chacune est assign� un r�le pr�cis, en opposition � une autre.

Autrement dit, l'�quilibre chromatique du tableau tient non seulement au jeu des couleurs compl�mentaires, mais aussi � un �quilibre entre les harmonies de contraste (contrastes de couleurs compl�mentaires) et les harmonies d'analogue (couleurs proches l'une de l'autre) : le bleu forme une harmonie de contraste avec l'orang�, mais une harmonie d'analogue avec le violet, deux couleurs qui lui sont juxtapos�es. Le cas du rouge est encore plus flagrant, puisqu'il est pris en sandwich, pour ainsi dire, entre l'orang� et le vert, et forme une harmonie d'analogue avec le premier, de contraste avec le second.

Van Gogh a donc r�ussi � obtenir un grand �quilibre dans le jeu des couleurs. D'abord, sa palette est restreinte aux trois primaires du peintre (rouge, bleu, jaune) et aux trois secondaires (vert, violet et orang�), plus le blanc et le noir (la seule exception concerne les quelques touches de brun du fourneau de la pipe). Ensuite, les couleurs contigu�s sont organis�es par paires de contrastes, afin de produire une id�e d'�quilibre.

Je pense en effet que le signifi� chromatique est ici l'id�e d'�quilibre : �quilibre entre les couleurs primaires et secondaires, entre blanc et noir, entre analogues et compl�mentaires. Bibliographie

Cependant, si Van Gogh a �t� si attentif � ces questions, c'est qu'elles �taient largement surd�termin�es : le contraste, ce n'est pas seulement le contraste de couleurs. Je crois en effet que Van Gogh se projetait largement dans ces conflits de couleurs formant des contrastes, au sens o� il se concevait lui-m�me comme un �tre de contraste, de sorte que transformer le choc brutal de deux couleurs compl�mentaires en un contraste harmonieux et �quilibr�, c'�tait d'une certaine fa�on mener son propre combat contre la maladie, son combat contre lui-m�me�. En savoir plus

Il y a donc un lien entre le contraste que forme la vie d'artiste, partag�e entre difficult�s financi�res et besoin de cr�ation, et le travail de la couleur, qui confronte le peintre avec ses contrastes et ses oppositions qu'il s'agit aussi de transcender pour atteindre l'harmonie et l'�quilibre.

En r�sum�, je serais tent� de dire que les diff�rents �l�ments d'analyse convergent vers l'id�e que la signification g�n�rale du tableau est celle d'�quilibre. L'�quilibre est d'abord celui de la composition : le visage, qui est l'�l�ment dominant, occupe la partie centrale de la toile; les yeux sont � la hauteur de la ligne d'horizon qui partage le tableau en deux parties.[voir 08]

Mais, comme toujours, on ne peut se contenter de penser l'�quilibre sur le plan purement formel de la composition. L'�quilibre est aussi l'id�e qui domine l'analyse iconographique, avec la pipe qui fait pendant au bandage, comme le noir qui �quilibre le blanc, le pr�sent qui l'emporte sur le pass� pour v�hiculer l'id�e de la tranquillit� recouvr�e. La m�me id�e d'�quilibre se retrouve dans l'analyse chromatique : �quilibre entre couleurs primaires et secondaires, analogues et compl�mentaires, ainsi qu'en ce qui concerne la clart� et la saturation des teintes en pr�sence.

L'�quilibre. Soit. Mais quel �quilibre ? Psychique, avant tout. La toile, centr�e, entend manifester que le peintre l'est aussi, que le savant �quilibre du tableau ne saurait �tre l'�uvre d'un d�s�quilibr�. L'�quilibre des couleurs a donc aussi une dimension psychologique, si l'on veut, au sens o� la transformation de la violence des contrastes de compl�mentaires en un ensemble apaisant est comme une m�taphore de la volont� de Van Gogh de surmonter ses propres contrastes et contradictions pour aboutir � une vie aussi harmonieuse que ses couleurs sont �quilibr�es. En ce sens, cet autoportrait est double : il repr�sente le peintre en montrant son visage, certes, mais il le repr�sente aussi au travers de l'usage, de la ma�trise et de la signification des couleurs.


L'autoportrait � l'oreille band�e,

par Vincent Van Gogh,

1889, 51 x 45 (cm),

collection Block, Chicago.




Français
Lancer l'impression
Méthode