Contrats pétroliers: le Tchad gagne une nouvelle bataille face à l’entreprise britannique Savannah Energy

Ndolenodji Alixe Naïmbaye, la ministre tchadienne des hydrocarbures

Crédit photo, Ministère des hydrocarbures, Tchad.

Légende image, Ndolenodji Alixe Naïmbaye, la ministre tchadienne des hydrocarbures
  • Author, Armand Mouko Boudombo
  • Role, Journaliste, BBC Afrique
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N'Djaména s'est rejoui lundi, d'une décision du Tribunal Arbitral de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) de Paris qui rejette la demande de l'entreprise britannique visant à geler les fonds de COTCO, la société d'exploitation du pétrole tchadien.

C’est un feuilleton riche en rebondissements, entamé en décembre 2022. A cette date, la société britannique Savannah Energy a annoncé le rachat des parts de Esso Tchad, filiale du groupe américain Exxon Mobil, qui gérait le pétrole tchadien.

Le Tchad a rejeté cette annonce, qualifiant la procédure d'acquisition d'illégale et l'accusant de violer les règles en la manière.

Dans la foulée, le Tchad a annoncé au sortir du conseil extraordinaire des ministres du 24 avril 2023, la création d'une société de gestion de son pétrole. Selon le compte-rendu de cette réunion, N'Djaména entend donner une autonomie de gestion à la « Chad petrolium Company ».

La création de cette société anonyme de droit OHADA a ainsi concrétisé la nationalisation de la gestion du pétrole tchadien, actée fin mars 2023.

La junior pétro-gazière britannique Savannah Energy a, suite à cette nationalisation, saisi le tribunal de première instance de New-York, pour tenter de geler les revenus générés par l’exploitation des champs pétroliers (qui produisent quelques 28 000 barils jours) de Doba dans le sud du Tchad.

Ces fonds gérés par Cotco, sont domiciliés dans une banque au Gabon. Savannah Energy craint qu'avant le verdict de cette juridiction, les 95 milliards de francs CFA pourraient être utilisés par la partie Tchadienne.

C'est donc ce contentieux qui est en train d'être géré par le Tribunal Arbitral parisien.

Dans la dernière ordonance rendue le 8 mai, à en croire le ministère tchadien des hydrocarbures, dans un communiqué du 13 mai, la juridiction parisienne a "rejeté les arguments de Savannah visant à presenter le gel et la mise sous séquestre des fonds de Cotco comme nécessaires pour assurer la préservation de ses prétendus droits d’actionnaire dans Cotco".

Pour l'Etat tchadien, les statuts de Cotco limitent l’accès de l’actionnariat de Cotco aux Etats du Tchad et du Cameroun et aux membres du consortium Doba, dont Savannah ne fait pas partie.

De ce fait, la décision, se rejouit le ministère tchadien des hydrocarbures, "constitue un nouvel échec de Savannah dans sa volonté de perturber davantage le fonctionnement de Cotco et sa filière petrolière tchadienne notamment par la multiplication de procédures abusives au mépris du droit et en deni des conséquences de la loi de nationalisation tchadienne sur la gestion de l’oléoduc Tchad-Cameroun".

Cette ordonance arrive après celle du 4 mars 2024 dans laquelle le Tribunal Arbitral de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) de Paris rejetait la demande « formulée par Savannah Energy de mise sous séquestre des revenus pétroliers de Tchad Petroleum Company jusqu’à la résolution au fond du litige », à en croire un communiqué des autorités tchadiennes.

Manque de capacités

"Le Tchad ne reconnaît pas Savannah Energy comme faisant partie du consortium", déclarait en mars 2023, Djerassem Le Bedmadjiel, ministre tchadien du pétrole, de l'époque devant les députés.

La raison, selon le gouvernement, est que Savannah aurait acquis les actifs sans le consentement des autorités tchadiennes. "Le ministre sortant (du pétrole) a demandé des informations sur la capacité financière et technique, ni Esso ni Savannah n'était en mesure de prouver cela", a déclaré M. Le Bedmadjiel aux députés.

Selon lui, le Tchad reproche à Savannah non seulement son manque de capacité technique et financière, mais aussi d'avoir acquis ces parts dans le cadre d'une procédure prétendument illégale.

Selon le ministre, citant un accord d'association signé entre la Société des Hydrocarbures du Tchad, la société Petronas et l'Etat tchadien, trois entités qui gèrent le pétrole tchadien, "Exxon Mobil avait 150 jours pour finaliser la vente de ses parts avec Savannah, sous peine de reprendre le processus. Le délai a expiré, mais Exxon a poursuivi la procédure sans en informer les autres partenaires".

Le ministre des Finances est allé plus loin en affirmant que "Savannah n'a pas d'argent, elle n'a pas pu lever de l'argent pour le donner à Esso, qui lui a cédé ses actions à crédit", avant de poursuivre "Je pense que Savannah a tenté de corrompre des gens au Tchad et dans d'autres pays, et ça s'est su", a déclaré Tahir Hamid Nguilin devant le conseil de transition faisant office de parlement.

Illustration d'une carte du Tchad avec une pompe à pétrole

Crédit photo, Getty Images

Réaction de Savannah Energy

Contactée par la BBC en mai 2023, la société britannique nous avait envoyé une note écrite dans laquelle elle affirme avoir respecté toutes les exigences de la loi tchadienne avant de finaliser l'achat d'Esso Exploration and Production Chad, désormais appelée Savannah Chad Inc "SCI".

Nous avons appris de ses avocats que Savannah dément fermement toute tentative de corruption et estime que la récente nationalisation de la gestion du pétrole tchadien est "en violation des conventions auxquelles SCI et la République du Tchad sont, entre autres, parties".

En ce qui concerne son "manque de capacité technique et financière", Savannah souligne ses réalisations au Tchad, où elle estime avoir inversé « le déclin historique » de la production de pétrole brut en améliorant la production journalière de 9 % depuis le début de ses opérations en décembre dernier.

Le gouvernement tchadien attribue ce chiffre à l'expertise des travailleurs tchadiens sur le terrain depuis que le personnel de Savannah a été expulsé.

Après l'annonce du rachat des actifs d'Esso Tchad par Savannah, Ndjamena a saisi la justice tchadienne et obtenu la suspension de la transaction entre les deux sociétés, et un employé de Savannah a été détenu à Ndjamena avant d'être libéré.

Savannah a déposé une demande d'arbitrage à Paris, en France, conformément à l'accord entre les parties "pour récupérer ses pertes substantielles".

« Incompréhensions dissipées» entre Yaoundé et N'Djaména

Entre-temps, la société britannique devenue membre du consortium, grâce au rachat des parts d'Exxon Mobil, a vendu, le 19 avril, 10% de ses actions à la société camerounaise de raffinage SNH, ce qui a créé une crise diplomatique entre le Tchad et son voisin le Cameroun.

Ndjamena a dû rappeler son ambassadeur pour consultation. Mais moins d'une semaine après ce rappel, Yaoundé a dépêché le secrétaire général de la présidence à N'Djamena pour rencontrer le dirigeant tchadien. A l'issue de la rencontre, l'émissaire camerounais a reconnu que "certains malentendus" ont été dissipés.

Ndjamena dépend à 100% du Cameroun pour l'exportation de son pétrole, qui transite par une base flottante à Kribi, dans le sud du pays, via un oléoduc de plus de 1 000 kilomètres construit entre les deux pays.

Cotco déclare avoir transporté du pétrole brut tchadien pour une valeur estimée à 4,5 milliards de dollars en 2022, soit près de 2 700 milliards de francs CFA.