La tension monte d'un cran entre le Niger et le Bénin

Des camions en attente à la frontière entre le Bénin et le Niger à Malanville

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Légende image, Les autorités du Niger maintiennent leur frontière fermée malgré que le Bénin a ouvert sa frontière
  • Author, Isidore Kouwonou et Papa Atou Diaw
  • Role, BBC Afrique

Au Bénin, un tribunal a emprisonné trois ressortissants nigériens nous apprend l'Agence France Presse. Ils font partie des 5 personnes arrêtées par le Bénin la semaine dernière.

"Deux d'entre eux ont été libérés", a déclaré l'une des sources judiciaires jointe par l'AFP.

La tension entre le Niger et le Bénin n’est toujours pas redescendue malgré les bons offices proposés par plusieurs organisations.

La tension est montée d’un cran la semaine dernière suite à l’arrestation de cinq Nigériens à Sèmè-Kpodji dans le sud-est du Bénin.

Plusieurs organisations de la société civile ont tenu une conférence de presse dimanche à Niamey pour réclamer leur libération.

« Nous condamnons avec fermeté l'enlèvement et la séquestration de nos compatriotes nigériens membres de Wapco-Niger, en mission de contrôle des quantités de pétrole brut chargé au port de Sèmè-Kpodji. Nous leur exprimons notre solidarité et exigeons leur libération immédiate et sans condition », tonne Abdoulaye Seydou, membre de la société civile au Niger.

Que s’est-il passé ?

La justice béninoise leur reproche de s'être introduits frauduleusement sur le terminal du pipeline Bénin-Niger.

Selon le procureur spécial auprès de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme du Bénin, Elonm Mario Metonou, ces cinq ressortissants nigériens se sont introduits dans le site sans décliner leur identité.

« Pour justifier cette entrée frauduleuse sur le site, les intéressés ont indiqué être tous des employés de Wapco-Niger dont ils arborent les badges », affirme M. Metonou lors de la conférence qu’il a tenue jeudi dernier.

Le procureur béninois de révéler par ailleurs qu’au moins deux des cinq personnes incriminées sont « des agents nigériens au service du Conseil national pour la sauvegarde de patrie (CNSP) » qui se sont confectionnés pour la circonstance, toujours le procureur, de faux badges d’employés de Wapco-Niger, tout en précisant que les investigations se poursuivent.

Les autorités nigériennes ne se sont pas fait attendre pour réagir à cette arrestation de violation des accords sur le transport du pétrole brut du Niger qui transite par le Bénin.

Selon le ministre nigérien du pétrole Mahamane Moustapha Barké, le général Tiani, a ordonné l’arrêt de la station de pompage de Koulélé, situé au nord-est du Niger « si les membres de l’équipe » ne sont pas libérés.

Quelles solutions de sortie de crise ?

La levée des sanctions par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à la suite du coup d’Etat, contre le Niger en février dernier, n’a pas refroidi la tension entre ce pays et son voisin immédiat qu’est le Bénin. Le refus du Niger d’ouvrir sa frontière avec son voisin envenime la situation.

Dans ce bras de fer, ce sont les populations des deux pays qui sont victimes des dégâts collatéraux, puisqu’ayant des difficultés à écouler les marchandises de part et d’autre, avec en toile de fond l’inflation au Niger.

Le bord du fleuve au niveau des frontières, à Malanville, est devenu un lieu où se font les échanges, étant donné que ces populations utilisent le fleuve pour acheminer ces marchandises dans de grosses barques, avec de gros risques qu’elles courent.

C’est dans cette situation tendue que les autorités béninoises ont décidé, en début de ce mois de mai, d’interdire l’embarquement du pétrole nigérien via la plateforme de Sèmè-Podji au Bénin. Ce qui a fait monter la tension entre les deux pays.

Cependant, le Bénin a délivré il y a quelques jours, une "autorisation ponctuelle et provisoire" pour le chargement du pétrole nigérien bloqué depuis plusieurs jours à Sèmè-Podji dans le sud-est du Bénin. C'est ainsi que le ministre béninois des Mines, Samou Séidou Adambi a qualifié cette décision, lors d'une conférence de presse le 15 mai.

Une sortie de crise est-elle en vue ? Rien n'est moins sûr.

Les autorités béninoises n’entendent pas permettre l’acheminement du pétrole nigérien de manière informelle vers le marché international.

Nous allons essayer de comprendre dans les lignes qui suivent les différends qui opposent les deux pays et les solutions de sortie de crise que proposent certains experts.

Le coup d’Etat au Niger, le déclencheur de la tension entre les deux pays

Le Général Abdourahmane Tiani a fait le coup d'Etat au Niger le 26 juillet 2023

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Légende image, Le Général Abdourahmane Tiani, président de la Transition au Niger

26 Juillet 2023, le Général Abdourahmane Tiani, à la tête de quelques officiers de l’armée nigérienne, dépose le président Mohamed Bazoum. En réaction à ce coup d’Etat, la CEDEAO a décidé des sanctions contre le Niger.

En application à ces sanctions, le Bénin a donc décidé de fermer ses frontières avec son voisin. Ce qui a mis la junte en courroux. Les menaces du bloc ouest-africain d’intervenir militairement au Niger pour rétablir le président Mohamed Bazoum, une éventualité soutenue par le Bénin, était très mal vue par les nouvelles autorités militaires de ce pays du Sahel.

Des tonnes de marchandises embarquées dans des camions en direction du Niger sont bloquées au port autonome de Cotonou et à la frontière entre les deux pays. Nombreux étaient des opérateurs économiques nigériens se plaignaient de la perte occasionnée par cette immobilisation des camions.

Pendant ce temps au Niger, la population manquait de tout, les produits de première nécessité ne rentrant plus dans le pays. Parallèlement, les relations diplomatiques entre les deux pays se détériorent.

Carte

Une ouverture du côté du Bénin

Février 2024, lors d’un sommet, la CEDEAO a décidé de la levée des sanctions contre le Niger, six (06) mois après, malgré le refus des autorités militaires de céder aux injonctions de l'instance régionale.

C’est alors que le Bénin, consécutivement à cette levée des sanctions, a décidé d’ouvrir sa frontière avec le Niger.

Mercredi soir, la télévision nationale béninoise a annoncé "le robinet du pipeline Bénin-Niger est à nouveau débloqué".

Mais la junte, de son côté, a maintenu le blocus. Le Général Abdourahmane Tiani avait déclaré que la frontière restera fermée tant que le Niger jugera que le Bénin constituerait une menace pour servir de base arrière à des opérations de déstabilisation.

Réaction de Cotonou

Patrice Talon, président du Bénin

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Légende image, Le président du Bénin, Patrice Talon n'est pas content de la décision des autorités nigériennes de maintenir leur frontière fermée

Les autorités béninoises sont remontées contre cette décision de Niamey de maintenir la frontière fermée. Dans la foulée, le projet de pipeline entre les deux pays a pris un coup.

La plateforme de Sèmè-Podji au Bénin, cet oléoduc géant de 2 000 kilomètres, devrait permettre au Niger d’écouler son pétrole brut sur le marché international. Mais le 8 mai dernier, le président Patrice Talon a décidé de l’interdiction d’embarquement du pétrole nigérien.

La décision des autorités militaires nigérienne de maintenir la frontière fermée et le manque de communication entre les deux pays voisins restent les causes de cette réaction de Cotonou, selon le chef de l’Etat béninois, Patrice Talon.

« On ne peut pas dire que les échanges avec le Bénin sont interdits, que le Niger ne veut aucun échange avec le Bénin et demander que les bateaux pour le Niger viennent accoster dans nos eaux. Le Niger ne nous a pas saisi officiellement de sa volonté d’envoyer les bateaux chargés », a indiqué Patrice Talon.

Il a souligné que ce sont des entreprises chinoises qui ont informé le Bénin des intentions des autorités nigériennes. « Cette formule n’est pas convenable. Les Etats n’échangent pas entre eux via des prestataires privés », a-t-il dénoncé.

Réponses des autorités nigériennes

Ali Mahaman Lamine Zeine lors d'une conférence de presse

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Légende image, Le Premier ministre du Niger, Ali Mahaman Lamine Zeine a dénoncé le blocage de l’exportation du pétrole nigérien par les autorités béninoises

Quelques heures après cette sortie du président béninois Patrice Talon, les autorités nigériennes sont montées au créneau.

« Il y a une dizaine d’accords signés. Mais tous ces accords ont été violés par les autorités béninoises », a soulevé le Premier ministre nigérien, Ali Mahaman Lamine Zeine au micro de la correspondante de BBC Afrique à Niamey, Mariama Soumana, lors d’une conférence de presse le 11 mai dernier.

Il dénonçait donc le blocage de l’exportation du pétrole nigérien par les autorités béninoises qui, par ce fait, violent aussi des accords avec les entreprises chinoises, selon lui.

Le Premier ministre nigérien ne s’est pas limité à ce malentendu lié à l’exportation du pétrole. Il est allé plus loin en accusant le Bénin d’accueillir des bases militaires françaises sur son sol. Et ces bases abriteraient « des terroristes qui doivent venir déstabiliser son pays ».

Une accusation contre laquelle le président béninois a réagi, affirmant que son pays ne constitue aucune menace pour le Niger, et qu’il n’y a pas de base militaire française au Bénin.

La médiation chinoise

Ce bras de fer entre les deux pays a connu donc un relâchement en mi-mai avec la décision des autorités du Bénin d’autoriser le chargement du pétrole nigérien bloqué depuis plusieurs jours à Sèmè-Podji dans le sud-est du Bénin.

Ce dégel a été possible suite à une rencontre entre les autorités béninoises et la société chinoise CNPC, en charge de la construction et de l'exploitation du pipeline.

Malgré cette médiation des autorités chinoises, la crise persiste entre les deux pays voisins.

Nombreux sont les experts qui tentent de souffler d’autres solutions qui puissent permettre aux deux pays de dissiper définitivement cette tension.

Comment mettre fin à cette crise entre les deux pays ?

Le port de Cotonou

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Légende image, Le port de Cotonou

Au-delà du poids que cette tension constitue pour les populations sérieusement affectées de part et d'autre de la frontière, la crise entre le Bénin et le Niger met mal à l’aise leurs voisins, selon des observateurs.

Pour Aly Fary N'diaye, Expert en relations internationales, il faut aller au-delà de la médiation et la solution apportées par la Chine. « Aller au-delà, c’est aussi essayer de pousser les autorités nigériennes de faire un pas comme l’a fait le Bénin pour un dégel progressif et durable », a-t-il souligné.

Il a ajouté qu’il n’y a pas de solution qui aille en dehors d’une médiation qui puisse permettre la réouverture effective des frontières entre les deux pays.

« Parce que si l’embargo continue, c’est le pouvoir d’achat du Nigérien qui va en pâtir. Parce que si le port au niveau du Bénin revient à être fermé, le Niger est obligé de passer par le Togo, et après le Togo c’est la traversée de tout le Burkina Faso avant que les produits n’aillent à Niamey. Ce transport va impacter sur le coût des produits », a-t-il laissé entendre. Ce qui va entrainer une inflation pour le Niger, selon lui.

Tout en espérant que la Chine va continuer à apaiser les relations diplomatiques entre les deux pays, Aly Fary N'diaye a noté que ce projet de pipeline qui profite aux trois pays doit amener le Bénin et le Niger à privilégier la paix, parce qu’ils « le veuillent ou pas, ces deux pays sont des siamois qui appartiennent à un même corps, l’un ne peut pas vivre sans l’autre ».

Au-delà de la Chine, a poursuivi l’expert en relations internationales, d’autres pays africains qui ont des intérêts géographiques et géostratégiques de la CEDEAO ne doivent pas se mettre en marge de cette médiation.

Pour décrisper la situation, selon lui, il faut que « les gens acceptent d’être d’accord sur un certain nombre de désaccords ». « C’est-à-dire que les pays qu’on considère comme les pays du Sahel n’ont pas la légitimité démocratique, mais ont créé un rapport de force qui fait que toutes sanctions qu’on prend contre ces régimes vont impacter d’abord les populations », a-t-il dit.

Ces sanctions, au lieu de cibler les dirigeants, affectent les masses dont la paupérisation est déjà trop connue.

« Ce qu’il faut faire, c’est qu’il y ait des plages de convergence autour d’accords programmatifs qui puissent permettre aux pays de l’AES plus la Guinée d’avoir des plages de convergence avec d’autres pays démocratiques de la CEDEAO, parce que l’intégration des peuples est plus en avant que l’intégration politique dans ces pays-là »