Moussa Séne, le sénégalais qui veut vulgariser l'aquaculture urbaine dans son pays

Moussa Séne
Légende image, Moussa Séne a décidé de décliner des offres d'emploi en France pour mettre en place sa ferme aquacole intégrée au Sénégal.

Moussa Séne est un jeune sénégalais qui a voit les choses en grand. Après ses études en France, il a décidé de revenir au Sénégal afin de se lancer dans l'aquaculture. Un pari réussi puisqu’aujourd’hui, il dispense des formations aux personnes désireuses de se lancer dans la pisciculture hors-sol. Son objectif, encourager l’élevage de poissons à travers sa ferme intégrée.

« Demandez à quelqu’un la maison où on élève des poissons, on vous l’indiquera ! », nous informe Moussa Séne de l’autre bout du fil. Après avoir dévalé la route goudronnée du quartier Nguinth de Thiès, une ville située à l’ouest du Sénégal, nous apercevons des jeunes assis à côté de leur moto.

Ils pointent du doigt un bâtiment dont la peinture d'une façade du mur commence à se défraîchir.

« C’est là-bas qu’on élève les poissons », nous indique l'un d'eux.

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Nous longeons le mur de la bâtisse avant de bifurquer à droite. Nul doute, nous sommes bien arrivés à la Ferme Aquacole Intégrée de Thiès. Il est d'ailleurs indiqué en gros caractère sur la façade extérieure du mur de la clôture.

Nous franchissons le portail et sommes accueillis par la symphonie de cancans et de caquètement de la volaille qui berce l’ambiance de la ferme.

Moussa Séne, le maitre des lieux a la main plongée dans un bassin bleu, au fond duquel des poissons frétillent.

Après les salamalecs d'usages, il nous invite à prendre place avant de commencer à narrer l'histoire du périple qui l'a conduit à fonder cette ferme.

Poissons

Jeune étudiant en agronomie à l’université Gaston Berger de Saint Louis, Moussa Séne constate un certain déficit de techniciens dans le domaine de l’aquaculture au Sénégal.

Un secteur qui n’attire pas encore les Sénégalais, selon lui, contrairement au secteur de la pêche.

En effet, plus de 97 000 travailleurs dépendent de la pêche au Sénégal, selon le rapport de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) publié en 2022 sur la situation économique et sociale du Sénégal.

Mais, lui le sent et le sait, la pisciculture pourrait bien être un levier de développement de son pays.

Le poisson constitue un des aliments de base de la population sénégalaise. Le thiof (mérou blanc), très prisé, accompagne de moins en moins le thiébou dieune (riz au poisson), plat national et symbole de la gastronomie sénégalaise en raison de la surpêche qui prévaut dans les eaux sénégalaises.

Selon un rapport de l’ANSD publié en 2023, le « secteur de la pêche continue d’enregistrer une contreperformance avec une contraction de sa valeur ajoutée (-6,6%) en 2021, après une chute de 8,2% en 2020. »

Le rapport explique en partie cette contreperformance par « la rareté des ressources halieutiques qui découle de leur surexploitation au fur des années et des sismiques effectuées pour la prospection d’hydrocarbure. »

Par contre, la production aquacole est quant à elle en hausse de 8,9%, toujours selon le rapport de l’ANSD, même si elle n’a pas atteint l’objectif de départ.

Une aubaine détectée par Moussa, qui décide de s'envoler en 2018 pour la France à Bourcefranc puis à Brée-les-Bains pour avec pour objectif de se spécialiser en aquaculture marine.

Au terme de ses études, plusieurs propositions lui sont faites afin qu’il entame une vie professionnelle au pays de Marianne. Cependant, les sommes mirobolantes qui lui sont proposées ne lui font pas tourner la tête.

M. Séne décline ses offres qu’il qualifie d’alléchantes pour faire ses valises, et prendre la direction de son Sénégal natal. Une décision qui interloque ses amis qui le voient débarquer au pays.

« Toi tu es fou. Qu’est-ce que tu fais ici ? Nous, on veut aller en France et toi tu reviens ? », lui lancent ses proches qui ne comprennent pas la décision de Moussa Séne.

Cependant, Moussa Séne ne revient pas les bras ballants. Il a ramené dans ses balluchons un projet d’aquaculture en cage offshore.

Une cage offshore est structure de la pisciculture installée en mer afin d’élever les poissons dans un environnement contrôlé. La structure est ancrée afin qu’elle puisse résister aux intempéries.

Poissons

Il couche son idée sur près de 500 pages et conduit les études d’impact environnemental nécessaires afin de bien ficeler son projet.

Seulement, ce projet colossal requiert un financement d’un milliard de francs CFA, un montant qu’il n’arrive pas à réunir. « On a eu la concession marine de deux kilomètres carrés qu'on nous avait octroyée. Mais c'est juste le financement qui a bloqué le projet », regrette M. Séne.

« On a eu beaucoup de promesses, mais malheureusement, on n'a pas eu le financement et on est toujours dans des recherches pour pouvoir décrocher ce financement », se désole-t-il. Néanmoins, Moussa Séne ne se laisse pas décourager et réadapte son projet pour créer une ferme aquacole intégrée.

Sa première récolte de poisson lui rapporte un bénéfice de 150 000 frs sur 6 mois.

« J’avais un tout petit bassin », se remémore-t-il. Trois ans plus tard, il produit dans l’année environ un million d’alevins.

« Aujourd'hui, je peux dire que je fais des recettes [à hauteur] de millions. Je ne veux pas dire les recettes que je fais, mais je fais des recettes assez conséquentes », affirme-t-il avec un large sourire qui lui fend le visage.

S’il se garde pudiquement de nous dévoiler le montant exact de ses profits, il est néanmoins très fier de voir ce qu’il accomplit. Surtout que certains de ses amis n’étaient pas en faveur de son idée de revenir au Sénégal.

Révolutionner l’aquaculture, mais pas que …

Employés de la ferme aquacole intégrée
Légende image, Des travailleurs mettent en place le système intégré que Moussa Séne souhaite vulgariser dans les ménages sénégalais.

Moussa Séne espère avec ses compétences et son expérience, faire des émules.

Il a mis en place un projet qui s’intitule ‘un foyer, un bassin’. L’objectif est que chaque foyer puisse produire dans un petit espace les poulets, légumes et poissons qu’il consomme.

Pour le réussir, il a mis en place un système interconnecté composé d’un bassin (pour élever les poissons), d’une table (qui sert de plantation) qui constitue en même temps un poulailler.

« Une fois alimentés, les poissons vont produire des déjections, l’engrais en quelque sorte pour les plantes. C’est un système autonome qui permet d’arroser sa plantation avec l’eau issue du bassin des poissons qui est très riche en substances fertilisantes. Cette plantation qui sert d’ombre, constitue un abri pour les poulets que nous produisons en bas », explique Moussa Séne en pointant du doigt la vollaille.

A côté de sa ferme aquacole intégrée, Moussa a fondé un institut de recherche et de pêche. Une façon pour lui de vulgariser son savoir et de contribuer à la formation de techniciens aquacoles.

Son institut attire d’ailleurs plusieurs étudiants venus des pays limitrophes. C’est le cas de Alkassoum Mahamar, ce ressortissant malien espère répliquer le même modèle dans son pays.

Alkassoum Mahamar
Légende image, Alkassoum Mahamar est venu du Mali pour suivre une formation dans l'institut de fondée par Moussa Séne.

« A la fin de ma formation, j 'aimerais retourner chez moi et vulgariser ce que j'ai appris ici », explique le jeune homme. En plus de l’aquaculture, M. Mahamar se réjouit de pouvoir rentrer au Mali avec d’autres compétences.

Au-delà de la formation en pêche et aquaculture, l’institut de M. Séne propose ce qu’il appelle des ‘bonus’.

« Ils sont spécialisés en métallurgie, car peuvent faire des soudures métalliques. Ils peuvent faire aussi la menuiserie de bois et aussi ils auront un permis de conduire au niveau de cet institut avant de sortir », explique Moussa Séne.

Contribuer à la sécurité alimentaire du Sénégal

Moussa Séne

Aujourd’hui, c’est un sentiment de fierté qui anime Moussa Séne quand il jette un regard sur la cinquantaine de bassins installée dans sa ferme.

« On livre un million de poissons par an au Sénégal dans la sous-région », s’enorgueillit-il. Grâce à sa ferme, il emploie une vingtaine de personnes et permet aux revendeurs de s’approvisionner chez lui.

Si Moussa Séne se frotte les mains grâce aux bénéfices qu’il engrange, le secteur de l’aquaculture fait selon lui, face à plusieurs défis, notamment l’alimentation des poissons.

« L'aliment des poissons est vraiment très cher, ça coûte très cher et ça diminue la rentabilité de cette activité », soupire M. Séne.

Néanmoins, il ne regrette pas son choix : « vu que j'ai démarré avec un bassin et que j'en suis là aujourd'hui sur deux ou trois ans, j'ai de l'espoir pour avoir les dix hectares que je projette de faire et qui pourront à coup sûr contribuer à la sécurité alimentaire au niveau national. »