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MR DÉSINFORMATION

John Mark Dougan, le troll américain à la solde de Moscou

Newsguard, une société américaine de lutte contre la désinformation, a découvert qu’un Américain, nommé John Mark Dougan, était au cœur d’une importante campagne de propagande russe que le New York Times a comparée à l’ingérence russe dans l'élection présidentielle américaine de 2016. Retour sur l'itinéraire étonnant d'un ancien shériff-adjoint qui s'est reconverti en propagandiste.

Touches d'un clavier d'ordinateur
L'Américain John Mark Dougan jouerait un rôle important dans le dispositif de propagande et de désinformation russe. Getty Images/iStockphoto - AlexLMX
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Volodymyr Zelensky aurait acheté à la royauté britannique des yachts de luxe, Hollywood serait en train de préparer un film à très gros budget à la gloire du président ukrainien ou encore la CIA et les autorités ukrainiennes travailleraient ensemble pour réduire les chances de Donald Trump de remporter l’élection présidentielle américaine de novembre 2024.

Autant d’histoires à dormir debout qui sont parues ces derniers mois sur plusieurs sites "d’information", tels que DC Weekly, New York News Daily ou encore le Chicago Chronicle. Ces articles ont toutes les caractéristiques de la désinformation "made in Moscou" visant à dénigrer le président ukrainien dans l’espoir de réduire le soutien occidental à l’Ukraine.

DC Weekly et consort

Et, en avril, l’Union européenne a d’ailleurs lié tous ces sites à un réseau de propagande que les autorités de l’UE ont appelé "Operation False Facade".

Rien de neuf sous le soleil de la désinformation de masse ? En réalité, DC Weekly et consort sont les enfants terribles non pas d’un propagandiste lambda russe, mais de John Mark Dougan, un ancien shérif-adjoint américain qui vit en Russie depuis 2016.

Le premier "troll" américain à la solde de Vladimir Poutine a ainsi réussi à monter une vaste opération comptant au moins 163 faux sites d’information - dont certains en français (comme le site "infos indépendantes") - publiant régulièrement des articles de propagande ayant été vus au moins 37 millions de fois dans le monde, a révélé Newsguard, une société américaine de lutte contre la désinformation, dans une étude du cas "John Mark Dougan"’ publié mercredi 29 mai. "L’histoire au sujet de Zelensky achetant des propriétés à la couronne britannique a été vu au moins 1,3 million de fois", précise McKenzie Sadeghi, spécialiste de l’ingérence étrangère pour Newsguard et auteure principale de la note.

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"En 2016, l'armée de trolls de l’Internet research agency (IRA) aura été nécessaire pour mener une opération d’ingérence dans l’élection présidentielle américaine, cette fois-ci il semblerait qu’un seul Américain à qui la Russie a accordé l’asile pourrait suffire", estime le New York Times dans une longue enquête sur le parcours étonnant de John Mark Dougan.

Cet Américain - qui a obtenu la nationalité russe en 2023 - rappelle certes "les ressortissants occidentaux qui acceptaient de servir de relai à la propagande soviétique à l’époque de la guerre froide", souligne Yevgeniy Golovchenko, spécialiste des campagnes russes de désinformation à l'université de Copenhague. Mais il n’a probablement pas fallu d’agent recruteur, de kompromat [dossier compromettant, authentique ou fabriqué] ou d’autres ressources particulières pour le faire basculer du côté russe.

Faux hacker russe

Cet ancien shérif-adjoint de Palm Beach, remercié en 2009, semble être tombé dedans tout seul au cours des années 2010. Il se serait rendu en Russie pour la première fois en 2013, a découvert le site Daily Beast, qui s’intéresse à l’étrange itinéraire de John Mark Dougan depuis 2019.

Aux États-Unis, il a accumulé les ennuis avec les autorités. Il a notamment été accusé de harcèlement sexuel à l’époque où il était encore shérif-adjoint, et aussi d’avoir divulgué des dizaines de conversations téléphoniques de membres du bureau du shériff de Palm Beach pour se venger de ses anciens collègues et supérieurs.

Lui même a soutenu ensuite qu’il était en réalité un "lanceur d’alerte". Il s’est même créé une fausse identité de hacker russe - surnommé "BadVolf" - afin de brouiller les pistes en publiant ses "indiscrétions". Mais le FBI a fini par remonter la piste de John Mark Dougan et a perquisitionné son domicile en 2016.

C’est alors que cet apprenti "hacker" a décidé de fuir vers la Russie plutôt que de faire face à des accusations "d’écoutes téléphoniques illégales et extorsion".

 John Mark Dougan se fait discret en Russie jusqu’au début de la guerre en Ukraine. Il utilise alors sa chaîne YouTube en mars 2022 pour affirmer que Moscou n’avait d’autre choix que d’attaquer l’Ukraine, où les États-Unis auraient installé des "laboratoires de fabrication d’armes biologiques". Cet Américain devient alors l’un des premiers à populariser cette théorie du complot reprise presque mot pour mot par le Kremlin pour dénoncer la "menace" occidentale à la frontière russo-ukrainienne.

Un "loup solitaire" ?

Et aujourd’hui, il serait à la tête d’un petit empire de désinformation que le New York Times compare à l’effort d’ingérence des trolls russes en 2016 ? "Ce qu’il semble avoir réussi à faire est impressionnant pour une seule personne", estime Yevgeniy Golovchenko.

Encore faut-il que la thèse du "loup solitaire" américain opérant depuis Moscou soit vraie. Interrogé par le New York Times, il assure ne recevoir aucune aide de l’État russe. "C’est une hypothèse possible, mais des éléments permettent de penser qu’il soit en partie intégré à l’écosystème russe de la désinformation dont il aurait pu bénéficier de soutiens", nuance Nicolas Raiga-Clemenceau, responsable du département cybermenace à XMCO, une société française de cybersécurité.

 John Mark Dougan a, en effet, des contacts avec les autorités russes. Il s’est rendu en Ukraine en tant que "journaliste citoyen", accompagné par l’armée russe. Ses contenus sont aussi très rapidement repris par des relais traditionnels de la désinformation russe sur Internet, suggérant qu’il peut y avoir des communications.

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Le parallèle avec 2016 souffre cependant d’un défaut, slelon les experts interrogés par France 24. "En terme d’impact quantitatif, avec les données qu’on possède, ce n’est pas de la même ampleur que les opérations des trolls de l’IRA", affirme Sébastien Garnault, fondateur du Paris Cyber Summit et président de Garnault et Associés, un cabinet français de conseil pour les acteurs du numérique. En 2016, les faux articles de propagande russe ont été vus plus de 700 millions de fois, soit vingt fois plus que les 37 millions de vues générées par les contenus créés par John Mark Dougan.

Une autre différence tient au fait que cet Américain "a essentiellement créé du contenu de propagande et ne s’est pas occupé d’amplifier leur circulation avec des comptes automatisés comme l’avaient fait les trolls russes en 2016", précise Nicolas Raiga-Clemenceau. Cependant, d’autres réseaux d’influence russe - telle que l’opération Doppelgänger découverte en 2022 -  ont pu utiliser leurs ‘bots’ (faux comptes automatisés sur les réseaux sociaux) "pour propager les articles créés par John Mark Dougan", précise Nicolas Raiga-Clemenceau.

Dopé à l'IA

Ce qui ne signifie pas que les faux sites de cet Américain n’ont pas d’impact. "Tout dépend de qui a été exposé à cette désinformation", souligne Sébastien Garnault. En l’occurrence, plusieurs sites visaient spécifiquement une audience situé à Washington. Autrement dit, l’une de ses priorités semble avoir été les décideurs politiques américains. "Dans une année électorale aux États-Unis, avec un Congrès qui a déjà eu du mal à voter l’aide à l’Ukraine, et une situation politique rendue encore plus complexe avec la guerre au Moyen-Orient, viser le public à Washington peut avoir un impact", estime Sébastien Garnault.

L’Américain a dégainé, en outre, une arme dont les trolls d’Evguéni Prigojine [le patron décédé du groupe de mercenaires Wagner et de l’Internet research agency, NDLR] ne disposaient pas : de l’IA, des ChatGPT et autres larges modèles de langage gratuits qui ont été utilisés pour rédiger les faux articles.

"Cela lui a permis de produire davantage de contenus et plus rapidement", résume Yevgeniy Golovchenko. Ces IA ont notamment été incitées "à donner une certaine coloration politique aux textes rédigés", constate Nicolas Raiga-Clemenceau. Newsguard a trouvé un exemple où  John Mark Dougan a laissé par erreur dans l’article la requête suivante faite à l’IA : "peux tu retravailler ce texte en adoptant une position conservatrice contre les politiques libérales de l'administration Macron".

Jusqu’à présent, les grandes opérations de désinformation russe - comme Doppelgänger ou Portal Kombat - ne semblent pas avoir eu recours massivement à l’IA. John Mark Dougan est peut être l’un des premiers à mettre l’intelligence artificielle au centre de son travail de sape informationnelle pour le compte de Moscou.

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