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SUR LES TRACES D'ILYA G.

Le "polit-technologue", ce marionnettiste du système politique russe

Le "polit-technologue" russe est souvent comparé à un conseiller, qui a cependant une place prépondérante dans les arcanes du système politique russe, voire au-delà des frontières. Ilya Gambachidze, personnage dont le nom revient de plus en plus souvent dans les opérations de désinformation russe dans le monde, en est l’illustration.

Le polit-technologue est la version russe du "spin doctor", mais en plus influent.
Le polit-technologue est la version russe du "spin doctor", mais en plus influent. © Studio Graphique France Médias Monde
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Son nom est rattaché à la vaste campagne russe de désinformation Doppelgänger ["sosie" en allemand] en Europe, et à celle qui a visé l'Amérique du Sud. Kiev, en décembre dernier, a également accusé Ilya Gambachidze d'avoir élaboré un nouveau plan de guerre informationnelle en Ukraine. 

De quoi donner l'impression que cet homme discret joue un rôle central dans le nouveau dispositif de propagande en ligne orchestré par Moscou. Il serait ainsi devenu un sérieux candidat pour poursuivre l'œuvre de propagande en ligne de l'Internet Research Agency, cette usine à trolls dont l'influence s'est effritée après la mort d'Evguéni Prigojine, son créateur

Officiellement, Ilya Gambachidze est un "political technologue" (ou polit-technologue) comme il en existe des centaines en Russie. Une profession bien connue des Russes, qui voient défiler ces experts à longueur d'émissions politiques sur les plateaux de télévision, mais méconnue en dehors des frontières du pays.

Le polit-technologue est une figure centrale de l'échiquier politique en Russie et incarne, de plus en plus, la capacité de Moscou à influencer le monde. Explication avec Andrew Wilson, expert de la Russie à l'University College de Londres, auteur de "Political Technology : The globalisation of Political Manipulation", paru en décembre 2023, un livre qui revient notamment sur ces spécialistes russes de la communication politique.

France 24 : Pour commencer, qu'est-ce qu'un polit-technologue ?

Andrew Wilson : Selon la définition officielle en Russie, il s'agit d'un individu qui offre des solutions d'ingénierie politique [une aide à la décision politique, NDLR] afin de procurer un avantage partisan à son employeur.

Pour comprendre exactement ce que cela recouvre, il faut remonter un peu dans le temps. Le rôle moderne de polit-technologue a pris corps dans les années 1990, peu après la chute du régime soviétique. À cette époque, leur mission principale était d'aider leur maître politique à éviter les problèmes. En ce sens, Vladimir Poutine a effectué un travail de polit-technologue en 2000, en s'assurant peu avant de devenir lui-même président, que Boris Eltsine échappe aux poursuites judiciaires à son encontre.

Ils sont ensuite devenus de grands architectes électoraux. Un exemple célèbre de technique utilisée par les polit-technologues est la candidature du général Lebed face à Boris Eltsine lors de l'élection présidentielle de 1996. Les individus qui ont financé la campagne du futur président russe ont aussi, en coulisses, poussé Alexandre Lebed à se présenter. Ce militaire finira troisième en rassemblant près de 15 % des voix au premier tour, puis appellera tous ses partisans à voter pour Boris Eltsine. 

Ce cas de figure illustre la manière dont les polit-technologues ont commencé à contrôler des éléments du système politique russe. Ensuite, avec de l'argent, de l'influence, et du "kompromat" (du matériel compromettant pour faire chanter sa victime), ils ont mis en place un système politique beaucoup plus vaste, comme un échiquier sur lequel ils contrôlent le mouvement de chaque pièce.

Quelle est la différence avec les "spin doctors" ou "conseillers politiques" qu'on trouve en Occident ?

Le rôle originel des "spin doctors" était d'aller voir les médias après un débat politique et d'essayer de les convaincre que leur candidat avait remporté la joute verbale. Les consultants ou conseillers politiques sont censés simplement prodiguer des conseils ou améliorer l'image du candidat pour lequel ils travaillent. 

Évidemment, ces concepts ont évolué et ces individus dirigent désormais tous les aspects d'une campagne électorale. Ils mettent en place tout le système de diffusion médiatique, s'occupent de lever les fonds et créent le récit de la campagne. En ce sens, cela peut se rapprocher de ce que font les polit-technologues.

Mais le contexte est différent. Aux États-Unis, les candidats sont au service des fonds privés de campagne, des comités électoraux et des médias qui proposent une réalité alternative favorable à leur champion. Les politiciens baignent dans tout cet univers créé par les consultants politiques pour les mettre en valeur.

En Russie, les politiciens sont de simples marionnettes des polit-technologues. Leurs techniques ont permis d'établir un contrôle total du monde politique où chacun est un acteur lisant un script. Tout ce qui sort de la bouche de Vladimir Poutine est mis en scène par les polit-technologues pour produire l'effet désiré.

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Comment ce métier a-t-il évolué ?

Après avoir pris le contrôle du système politique russe, dans les années 1990, ils ont peaufiné leur méthode pour éviter que leurs marionnettes ne puissent échapper à leur emprise.

Ensuite, ils ont dû faire face à la contestation populaire contre ce système politique très contrôlé. C'est ce qui s'est passé, notamment avec les manifestations de 2011-2012 [suite aux fraudes massives révélées lors des législatives, NDLR] . Les polit-technologues ont alors élaboré des moyens pour neutraliser cette menace. Ils y sont parvenus puisque aujourd'hui les centres du pouvoir sont contrôlés par ces polit-technologues.

Mais si tout est truqué et que tout le monde le sait, plus personne n'a envie de participer et de voter. C'est ainsi que les polit-technologues ont dû ajouter une corde à leur arc : réussir à améliorer la participation électorale. 

Depuis février 2022, la Russie est devenue beaucoup plus conventionnellement répressive à l'égard de l'opposition et a moins besoin du savoir-faire des polit-technologues pour verrouiller le système politique. Donc ces derniers continuent à se réinventer et s'occupent davantage de tout ce qui a trait à la politique, même en dehors du processus électoral. 

C'est le changement majeur depuis l'élection de Vladimir Poutine en 2000. Les polit-technologues se sont progressivement emparés du récit historique russe [depuis sa fondation jusqu'à l'arrivée de Poutine au pouvoir, NDLR], le réécrivent pour en faire un outil de propagande. Ils s'occupent de politique étrangère, et s'immiscent dans la politique religieuse.

Vladimir Medinsky, l'actuel ministre de la Culture, illustre bien cette évolution. Parfois appelé l'historien de Poutine, et désigné au début de la guerre contre l'Ukraine pour négocier avec Kiev, il travaillait pour un cabinet de "polit-technologie" dans les années 1990. 

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L'Occident doit-il se méfier de ces polit-technologues ?

Oui. D'ailleurs le premier titre auquel j'avais pensé pour mon livre était "Le piratage de la démocratie mondiale". J'ai commencé à travailler sur cet ouvrage à l'occasion de l'élection présidentielle américaine en 2016. La manière dont la Russie a cherché à influencer le résultat n'est rien d'autre que l'application sur la scène internationale de méthodes utilisées par les polit-technologues sur le plan national.

La principale méthode est ce qu'on appelle "l'infection secondaire". Les polit-technologues commencent par injecter une fausse information dans le débat public, puis s'attellent à mettre en œuvre "l'infection secondaire" qui consiste à faire circuler cette information dans les médias traditionnels. Et les principaux journaux et chaînes de télévision américains sont tombés dans le panneau en abordant des thèmes qui, à l'origine, ont été poussés par des trolls russes pour enflammer le débat.

Et depuis lors, on retrouve des polit-technologues à l'œuvre dans de nombreux pays notamment sur le continent africain. Ils essaient d'influencer les partis sur place, forment des relais locaux à l'art de truquer les élections et, plus généralement, organisent la manipulation des scrutins. Ils se sont montrés également très actifs durant la campagne du référendum sur l'indépendance en 2017 en Catalogne où Moscou n'a, a priori, pas grand-chose à gagner… sauf à enflammer les désaccords au sein d'un important pays membre de l'UE.

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