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INGéRENCES en série

Allemagne : l’AfD, porte d’entrée des espions chinois et russes ?

L’arrestation pour espionnage, mardi, d’un assistant de Maximilian Krah, la tête de liste de l'AfD pour les européennes, n’est que le dernier scandale d’ingérence étrangère en date impliquant ce parti d’extrême droite allemand. Qui semble attirer aussi bien les espions russes que chinois.

Maximilian Krah, la tête de liste de l'AfD allemande pour les élections européennes.
Maximilian Krah, tête de liste du parti allemand d'extrême droite Alternative für Deutschland pour les européennes, se retrouve au centre de scandales d'espionnage chinois et d'influence russe. © Ronny Hartmann, AFP
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Le premier, Jian Guo, a été arrêté en Allemagne, lundi 23 avril, accusé d’avoir espionné pour le compte de la Chine. L’autre, Maximilian Krah, a été interrogé en décembre par le FBI, qui le soupçonnait d’avoir reçu de l’argent de la Russie. Enfin, le troisième, Petr Bystron, a été accusé d’avoir participé – sciemment ou non – à une vaste opération de désinformation russe.

Un sacré trio établi tout en haut de l’organigramme de l’Alternative für Deutschland (AfD), le parti allemand d’extrême droite, pour les élections européennes du 9 juin. Maximilian Krah, dans le collimateur des services américains, est la tête de liste de la formation populiste, et Jian Guo, qui vient d’être arrêté, est son assistant parlementaire.

Quant à Petr Bystron, c'est un politicien bavarois qui figure en bonne place sur la liste de l’AfD. Il était aussi très présent sur le site "Voice of Europe", un portail au cœur d’une opération de désinformation russe découvert en mars et qui visait à saper le soutien occidental à l’Ukraine. Petr Bystron a même été accusé par des médias d’avoir reçu environ 20 000 euros pour ses interventions sur "Voice of Europe".

"Alternative gegen Deutschland"

Cette accumulation de scandales donne l’impression que le parti d'extrême droite allemand ouvre grand les portes aux tentatives d’infiltration d’agents d’influence, surtout venus de régimes autoritaires comme la Russie ou la Chine.

"L’AfD est devenue un risque sécuritaire [pour l’Allemagne]", a ainsi écrit le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung. "L’AfD, une Alternative gegen Deutschland [Alternative contre l'Allemagne] ?", s’interroge le magazine Der Spiegel dans sa newsletter de mardi 24 avril.

Les appels à la démission de Maximilian Krah et Petr Bystron se sont bien sûr multipliés en Allemagne. Mais le premier tient bon, assurant vouloir continuer à mener l’AfD à l’assaut des européennes. Quant au second, il a reçu le soutien officiel de Tino Chrupalla, l’un des patrons du parti d’extrême droite.

C’est l’arrestation de Jian Guo – un quadragénaire allemand d’origine chinoise – qui a véritablement déclenché la levée de boucliers contre l’AfD. Jusqu’à présent, en effet, il s’agissait souvent plutôt de faisceaux d’indices d'ingérence étrangère, comme des voyages tous frais payés en Chine de cadres du parti, de l’argent venant de Chine ou de Russie ou encore des prises de parole calquées, par exemple, sur la propagande russe.

L'AfD et la Russie, une longue histoire

Mais avec les accusations d’espionnage, on quitte le domaine des signaux faibles pour "avoir affaire à des éléments de preuve de connivence beaucoup plus tangibles", souligne Mareike Ohlberg, sinologue et spécialiste des campagnes d’influence du Parti communiste chinois au German Marshall Fund of the United States (GMFUS), un cercle de réflexion basé à Berlin.

Surtout, il s’agit cette fois-ci d’ingérence chinoise. En effet, la porosité de l’AfD à la propagande russe est étudiée et commentée depuis plusieurs années. Par exemple, la participation de membres bavarois de l’AfD à la très controversée élection présidentielle russe de mars dernier en tant qu’observateurs n’est pas passée inaperçue en Allemagne. Surtout lorsque ces derniers ont déclaré que le scrutin s’était déroulé de "manière très démocratique".

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Les révélations, début février, sur les multiples identités de l’assistant parlementaire d’origine russe d’un élu de l’AfD au Bundestag ont également fait des vagues. Il faut dire que l’affaire avait tout d’un scénario de film d’espionnage. Ce personnage haut en couleur n’était pas seulement traducteur pour un élu allemand mais également rappeur et agent du FSB, l’un des principaux services de renseignement russes.

Mais à la longue, ces ponts avec la Russie ne surprennent plus outre mesure en Allemagne. "Pour les journalistes et observateurs qui suivent ces affaires, l’AfD représente un risque sécuritaire depuis environ 2017 déjà, lorsque ce parti a commencé à multiplier les contacts avec la Russie", explique Anton Shekhovtsov, directeur du Centre pour l’intégrité démocratique, en Autriche, qui a travaillé sur les liens entre la Russie et l’extrême droite en Europe.

La Chine en embuscade

La Chine apparaît comme une nouvelle pièce du puzzle des relations extérieures controversées de l’AfD. Et potentiellement encore plus problématique pour les services allemands de renseignement. "Si l’ingérence russe s’abat sur l’Allemagne comme une tempête, celle de la Chine représente le réchauffement climatique", a déclaré en 2022 Thomas Haldenwang, le directeur de l’Office fédéral allemand pour la protection de la Constitution, pour exprimer à quel point Berlin craint les tentatives d’infiltration chinoises plus insidieuses.

Pourtant, ce n'est pas tout à fait nouveau : "Cela fait depuis au moins 2019 que la Chine cultive ses liens avec Alternative für Deutschland", souligne Mareike Ohlberg.

En 2023 déjà, le site t-online publiait une longue enquête sur le "China-gate" entourant la tête de liste de l’AfD aux européennes. Le parcours de Maximilian Krah, qui a fait des études en Chine, puis a été invité à Shanghai par les autorités chinoises en 2019, est un cas d’école de la manière de procéder de Pékin. "Les Chinois vont d’abord tenter d’influencer leurs cibles en les invitant chez eux ou lors de rencontres dans un territoire neutre, mais rarement dans le pays d’origine", explique Erich Schmidt-Eenboom, un expert des services de renseignement, au site t-online.

Maximilian Krah est ensuite devenu un grand défenseur du point de vue chinois : selon lui, les accusations d’exactions chinoises contre la minorité musulmane des Ouïghours relèvent de "fables pour faire peur". Il soutient aussi que Taïwan fait partie de la Chine, tout comme le Tibet.

L'AfD, symptôme d'un problème plus large

"Les buts des opérations d’ingérence politique chinoise sont tout d’abord de récolter des informations sur les points de vue à l’égard de la Chine du pays visé, puis d’influencer la manière dont la Chine est perçue", résume Mareike Ohlberg.

L’AfD n’est cependant pas la seule cible des opérations chinoises. "En fait, le Parti communiste chinois [PCC] vise tous les partis qui comptent dans un pays et, en Allemagne, il a même eu plus de succès avec les formations traditionnelles [la CDU, le SPD ou encore les libéraux du FDP, NDLR]", assure Anton Shekhovtsov. Mareike Ohlberg précise : "Le PCC s’y prend différemment avec les partis traditionnels en Allemagne. Il tente d’influencer les acteurs économiques d’importance qui, ensuite, font passer le bon message aux élus." Avec l’AfD, le modus operandi "semble ressembler d’avantage à des affaires d’espionnage plus classiques avec le recrutement d’agents", estime-t-elle, tout en précisant que Pékin fait peut-être de même avec les autres formations, mais que cela n’a pas encore été découvert.

Pour la sinologue, l’AfD représente tout de même un terrain potentiellement plus fertile que d’autres formations. L’ingérence chinoise passe "de plus en plus par des opérations visant à démontrer les faiblesses de la démocratie occidentale, et c’est le genre de discours qu’un politicien de l’AfD va plus facilement répéter", note Mareike Ohlberg.

La multiplication des scandales d’ingérences étrangères – russes ou chinoises – impliquant l’AfD pointe donc bien un "problème sécuritaire" grandissant en Allemagne. Mais pour Mareike Ohlberg, la formation d’extrême droite n’en est que le symptôme. "Le risque sécuritaire tient avant tout à une attitude à l’égard des menaces étrangères 'très années 1990' qui persiste en Allemagne. C’est-à-dire qu’on a encore trop l’impression que la Guerre froide vient de finir et qu’on peut se concentrer sur le développement économique sans trop se soucier d’espions étrangers", conclut-elle.

Les affaires touchant l’AfD – tout comme l’arrestation, lundi, de trois Allemands accusés d’avoir effectué de l’espionnage industriel pour la Chine – dénotent ainsi d’un réveil à cette réalité. Un réveil brutal.

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