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PROPAGANDE ESTIVALE

Mer d'Azov : l'extravagant plan russe de stations balnéaires dans les territoires ukrainiens occupés

Les détails d’un vaste programme russe pour développer le tourisme et créer des stations balnéaires au bord de la mer d’Azov, y compris dans les territoires ukrainiens occupés, ont été publiés dans les médias russes. Si ce plan peut sembler extravagant pour un pays en guerre, il vise à rendre la présence russe irréversible dans cette région.

La plage de Marioupol, en Ukraine, avant le début de la grande offensive russe de février 2022.
Le bord de mer de Marioupol avant l'invasion de cette ville portuaire par la Russie en février 2022. © Oleskiï Filippov, AFP
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Des centres de bien-être ? Il y en aura. De la pêche à l’esturgeon ? Pas de problème. Sans compter les innombrables plages, spots de sports nautiques et autres stations balnéaires "éco-responsables".

Moscou semble avoir un plan plus qu’ambitieux pour créer un prochain paradis pour touristes… dans les territoires actuellement occupés par la Russie sur les rives de la mer d’Azov, depuis le nord de la Crimée au sud du Donbass.  

Un plan à 30 milliards d'euros

Il n'est pas nécessaire d’aller en Égypte ou en Turquie, ​​s’enthousiasme Komsomolskaïa Pravda, l’une des publications russes les plus farouchement pro-Poutine, dans un article paru dimanche 16 juin. D'ici 2040, une "nouvelle Mecque" fera son apparition dans la région de la mer d’Azov, soutient le journal. "La Russie a beau être le plus grand pays du monde, nous sommes limités en mers chaudes. Sotchi et Yalta [en Crimée occupée] ne suffisent pas, en pleine saison c'est la cohue là-bas".

Le projet russe de stations balnéaires autour de la mer d'Azov.
... © Studio graphique France Médias Monde

Au total, la Russie souhaite construire 20 nouvelles stations balnéaires dans cette région. Marioupol, Melitopol, Berdiansk : autant de noms de villes aujourd'hui associés à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Sur le très détaillé plan de développement touristique que Komsomolskaïa Pravda se targue d’avoir pu consulter en avant-première, ces mêmes villes deviennent des hauts lieux du tourisme vert, des vacances en famille au bord de l’eau ou encore pour amoureux du thermalisme.

Chacune de ces nouvelles destinations balnéaires possède ainsi, aux yeux des autorités russes, une ou plusieurs "spécialités" susceptibles de séduire différentes catégories de touristes.

Ce vaste plan de développement économique devrait nécessiter 2 700 milliards de roubles, soit environ 30 milliards d’euros, d’après Komsomolskaïa Pravda, qui souligne que "les stations balnéaires soviétiques de l'Ukraine actuelle se sont construites de façon chaotique et incontrôlée".

Ce budget, qui peut sembler fou, ne correspond pas simplement à l’aménagement de quelques plages et à la (re)construction d’hôtels dans des villes dévastées par la guerre comme Marioupol. Il est au service d'un projet d’intégration régionale.

La Russie compte ainsi construire de nouvelles routes et autoroutes tout autour de la mer d’Azov afin de relier directement le territoire national russe aux régions actuellement occupées en Ukraine – comme elle l'avait précédemment fait avec la péninsule de Crimée. Le plan prévoit aussi la rénovation des chemins de fer et l’établissement de nouvelles lignes aériennes.

Pour un pays dépensant sans compter pour financer sa guerre, isolé économiquement sur la scène internationale, un tel chantier paraît difficilement réalisable. "Cela peut en effet sembler ridicule et dénote à quel point les autorités russes se bercent d’illusion si elles croient sérieusement pouvoir réaliser un tel programme", juge Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics.

Corruption en perspective

Pour autant, "les Russes envisagent probablement sérieusement ce plan", assure Rory Finnin, spécialiste de l’Ukraine à l’université de Cambridge. "Il peut paraître un peu extravagant, mais ce programme a une certaine rationalité économique", confirme Stephen Hutchings, spécialiste de la propagande et de la désinformation russes à l’université de Manchester.

Ce n’est, en effet, pas la première fois que Moscou envisage de développer le potentiel touristique de cette région. "Il en était déjà question avant le début de la grande offensive russe en Ukraine de 2022", souligne Stephen Hutchings. La Crimée est, depuis son annexion en 2014, présentée par Moscou comme l’un des hauts lieux du tourisme estival pour les Russes.

Ce nouveau chantier XXL représenterait aussi "une source potentielle de profits pour les entreprises dirigées par des proches du pouvoir", note Jaroslava Barbieri,  spécialiste de la Russie à l'université de Birmingham.

Autrement dit, "il ne faut pas se leurrer", selon Rory Finnin. "Comme pour la reconstruction de Marioupol débutée en 2022, ce type de programmes représente une manière de justifier la corruption à grande échelle et l’enrichissement des amis du pouvoir", précise Rory Finnin.

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Mais il ne s'agit pas seulement d'une affaire de gros sous. La future "Mecque russe du tourisme" "s’intègre aussi dans un contexte plus général d’efforts déployés par Moscou pour consolider sa présence dans les territoires occupés et la rendre irréversible", estime Jaroslava Barbieri.

Les autorités russes ont fait de même à Marioupol, occupée depuis mai 2022. Moscou a annoncé "un vaste plan de développement des infrastructures et notamment des liaisons ferroviaires avec la Russie pour relier définitivement cette région au territoire national", détaille la spécialiste.

"C’est un thème récurrent de la propagande russe qui montre régulièrement à la télévision des images d’immeubles reconstruits à Marioupol pour souligner que c’est Moscou qui assure le retour à une certaine normalité dans cette région", souligne Yevgeniy Golovchenko, spécialiste de la désinformation russe à l’université de Copenhague (Danemark).

"Fantasmes impérialistes russes"

Avec ce projet de stations balnéaires, la Russie pousse le bouchon de la propagande encore plus loin. Il ne s’agit plus simplement de se poser en maître d’œuvre de la reconstruction : créer de nouvelles destinations touristiques est "une manière de dire aux Russes que tout ça valait le coup, qu’ils pourront profiter des lendemains de la guerre au bord de la mer", décrypte Stephen Hutchings.

Pour les experts interrogés par France 24, les autorités russes cherchent aussi à séduire les Ukrainiens qui n’ont pas pu fuir au moment de l’invasion et des destructions à grande échelle à Marioupol. "L’idée est de dire que la Russie construit un avenir qui sera meilleur que ce qui existait auparavant", assure Jaroslava Barbieri.

Ce vaste chantier de développement "est aussi censé nourrir les fantasmes impérialistes d’une partie de la population et doit nous rappeler que cette guerre, pour la Russie, est une guerre coloniale", assure Rory Finnin. "La logique est la même qu’à l’époque des empires coloniaux britannique, espagnol ou français : les territoires conquis sont toujours présentés comme des lieux où les ressortissants de la puissance coloniale peuvent venir se détendre et faire du tourisme", explique l’expert de l’université de Cambridge.

Mais ce programme est aussi un avertissement adressé à la communauté internationale. "Ce n’est pas un hasard s’il apparaît dans les médias russes au moment où il est question de négociations autour de plans de paix" en Ukraine, souligne Stephen Hutchings.

Une manière pour la Russie de rappeler son rejet de toute solution négociée qui prévoirait le retrait des forces russes : Moscou n'élaborerait pas des projets approfondis évalués à plusieurs milliards d'euros pour finalement consentir à une rétrocession des territoires occupés.

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