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De la "novlangue" au "néoparler" : la nouvelle traduction de 1984

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De la "novlangue" au "néoparler" : la nouvelle traduction de 1984

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Couverture d'une édition de "1984".
Couverture d'une édition de "1984".

Le chef d'oeuvre de George Orwell "1984" va bénéficier d'une nouvelle traduction chez Gallimard. Certains mots prennent une nouvelle orthographe, à l'image de la "novlangue", qui devient le "néoparler". Des choix que justifie la nouvelle traductrice de l'ouvrage, Josée Kamoun.

Le chef d'oeuvre de George Orwell, publié en France en 1950, n'avait bénéficié que d'une seule traduction en l'espace de 68 ans. A la traduction de 1984 signée Amélie Audiberti va succéder, jeudi prochain chez Gallimard, celle de Josée Kamoun. D'après l'éditeur, cette nouvelle traduction doit permettre de "restituer la terreur dans toute son immédiateté mais aussi les tonalités nostalgiques et les échappées lyriques d'une œuvre brutale et subtile, équivoque et génialement manipulatrice". 

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De la "novlangue" au "néoparler" 

"Ce qui importe avant tout, c’est que le sens gouverne le choix des mots et non l’inverse. En matière de prose, la pire des choses que l’on puisse faire avec les mots est de s’abandonner à eux", affirmait George Orwell. Traduire un auteur qui a tant réfléchi au sens et au poids des mots s'avère être une tâche particulièrement délicate. Pour Josée Kamoun, ce soin apporté par Orwell à ses choix linguistiques n'est pas étranger au "plaisir qu'elle a eu à le retraduire". Elle a ainsi décidé de conserver certaines traductions, telle "Big Brother", alors même que les différentes versions européennes de l'ouvrage lui ont préféré, dans leurs langues respectives, la traduction "Grand Frère" en référence au "Grand Frère" soviétique.  : 

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Pourquoi Amélie Audiberti a laissé Big Brother ? Je ne sais pas. Mais l'anglais étant devenu une langue véhiculaire mondiale, tout le monde comprend Big Brother maintenant, tout le monde le dit. 

Plus surprenant, la "Novlangue" devient le "Néoparler" alors même que le terme est régulièrement employé dans le langage courant. Pour Josée Kamou, "la 'novlangue' était une approximation de traduction" :

Orwell était extrêmement méticuleux dans ses choix de termes, son appendice [ sur les Principes du Novlangue, ndlr] est rédigé de manière extrêmement méthodique. S'il avait voulu écrire "novlangue", il aurait écrit "newlanguage". Or ça n’est pas une langue, c’est une anti-langue. Comme si on introduisait un virus dans le logiciel de la langue pour qu'il la détruise. Je suis convaincue que l’expression "novlangue" va rester dans la conversation, mais pour traduire le terme qu’Orwell a choisi, "newspeak", c’est "néoparler". 

En septembre 2003, dans l'émission Tire ta langue, la romancière et essayiste Isabelle Jarry revenait sur l'importance de l'appendice consacré à la "novlangue", ou "néoparler", d'Orwell :

A la fin de 1984, il y a un appendice qui parle du novlangue, précisément, avec sa syntaxe, sa grammaire. George Orwell a beaucoup réfléchi à cette question de la langue, dans les deux sens. C'est-à-dire la langue facteur d'oppression, et la langue vecteur de liberté. On peut se libérer par la langue, mais encore faut-il conserver toute sa richesse, sa précision, et vraiment faire un véritable travail de sémiologue, même à titre individuel. Alors que le pouvoir, et à plus forte raison le pouvoir totalitaire, a pour but de réduire la liberté mais aussi de réduire l'individu.

"Tire ta langue" du 23/09/2003 sur France Culture avec Isabelle Jarry auteure du livre "George Orwell, cent ans d'anticipation"

54 min

Un nouveau slogan 

Outre les néologismes propres à 1984, la dystopie d'Orwell avait aussi marqué les esprits à l'aide du slogan du Parti :

La guerre, c'est la paix                                              
La liberté c'est l'esclavage                                      
L'ignorance c'est la force 

Ce triptyque est maintenant traduit de façon plus fidèle au texte original et devient : 

Guerre est paix                                              
Liberté est servitude                                              
Ignorance est puissance

D'après Josée Kamoun, il manquait à la formulation le caractère "quasi-biblique" que l'on peut identifier dans la version anglaise : 

Quand on regarde le slogan écrit, on y voit l’évocation de la pyramide du ministère de la Vérité. La forme du slogan est pyramidale. Or, si on met "La liberté c'est l'esclavage", on perd cette impression de pyramide. Et je voulais justement choquer, peut-être, avec cette formulation. D'ailleurs moi-même ça me choquait. Mais c’est un effet que je trouvais souhaitable parce que ces slogans ont quelque chose d’incompréhensible, de cryptique, qui défie le bon sens.

Photomontage représentant le ministère de la Vérité (en), l'un des lieux du roman de Georges Orwell 1984.
Photomontage représentant le ministère de la Vérité (en), l'un des lieux du roman de Georges Orwell 1984.
- Jordan L'Hôte

Le choix du présent

Dernier objet de débat : le choix de ramener le texte du temps passé au temps présent, alors que le récit est écrit au prétérit en anglais. "En anglais le prétérit c'est le temps de tous les récits : écrits, oraux, solennels, argotiques..., justifie Josée Kamoun. Mais il n'introduit aucune distance entre l'oral et l'écrit. Il n'en va pas de même en français. Le passé simple en français a toujours une certaine raideur, et circonstance aggravante, étant donné la concordance des temps, il va induire automatiquement le subjonctif imparfait, qui va donner un texte lourd et un peu pompeux" : 

Si vous mettez le passé simple, des subjonctifs imparfait ,vous finissez par voiler ce texte d’une espèce de brouillage, de fumée et de bienséance et de cérémonie qui en atténuent l’impact. Je me suis sentie légitime à employer le présent parce que le traducteur traduit des effets, je me suis donc dit qu'il fallait passer par le présent.

Pour Josée Kamoun, cette nouvelle traduction, sans nier la dimension politique de l'ouvrage, est aussi l'occasion de redonner à 1984 son statut d'oeuvre littéraire à part entière : "La dimension charnelle de la deuxième partie, le caractère particulièrement complexe et ambiguë des séances de torture… Toutes ces choses là sont restées au second plan jusqu’à présent. 1984 n’est pas qu'un pamphlet, c’est une œuvre de fiction".

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