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L’histoire de la région des Grands Lacs en Afrique vue à travers les plantes

A l’époque médiévale, les sociétés d’Afrique subsaharienne entretenaient des relations entre elles et avec d'autres parties du monde. Dans la région des Grands Lacs, les recherches sur les végétaux permettent ainsi de comprendre que la majorité des plantes vivrières venaient… d’Amérique. Entretien avec Christian Thibon, professeur d’histoire à l’université de Pau.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Une agricultrice travaille dans son champ de blé près de Lira (Ouganda) le 11 novembre 2009. (REUTERS - HUDSON APUNYO / X01959)

Depuis 1995, GlobAfrica, un projet pluridisciplinaire financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) française, a réuni une cinquantaine de chercheurs d’horizons très variés : historiens, archéologues, botanistes, économistes, linguistes, spécialistes en pathologie moléculaire... Objectif : décrypter le fonctionnement et l’ampleur des échanges à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique. L’un des axes du programme s’est ainsi intéressé à la région des Grands Lacs. Et ce pour comprendre le rôle des plantes importées d’Amérique à partir du XVIe siècle sur l’organisation des foyers de peuplement. Le coordinateur de cette partie du programme, Christian Thibon, professeur d’histoire à l’université de Pau, a répondu aux questions de franceinfo Afrique.

Franceinfo Afrique : vous expliquez qu'à l’échelle de la région des Grands Lacs, "la grande majorité des cultures vivrières actuelles comme la patate douce, le manioc, le maïs, les haricots, les arachides ou les piments sont originaires des Amériques et non d’Afrique". Alors qu’en Europe, on a tendance à croire que ces végétaux sont exclusivement africains !

Christian Thibon : de fait, dans cette région, le paysage est souvent constitué de plantes américaines devenues africaines. Elles ont été introduites sur le continent à l’époque des premières liaisons transatlantiques, à l’époque post-colombienne (qui a suivi l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique en 1492, NDLR). Jusque-là, on connaissait leurs ports d’entrée en Afrique grâce aux sources portugaises et arabes. Restait à comprendre le phénomène de diffusion de ces végétaux.


Et qu'ont donné vos recherches ?

Nous avons étudié une zone s’étendant sur l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie, l’ouest du Kenya, l’est de la RDC (Kivu). Une zone qu’on pensait isolée et inconnue, alors qu’elle était en fait déjà connue des Arabes. De ce point du vue, les Européens ont suivi les axes caravaniers arabes. Aujourd’hui, l’étude de l’histoire des plantes témoigne que même si elle était isolée, cette région était en contact avec le reste du monde. Et ce grâce à des liaisons avec la vallée du Nil, le bassin du Congo et l’Afrique de l’Est.

Ces voies d’échanges n’ont pas suivi les routes commerciales habituelles. C’était plutôt des relations de voisinage, telles qu’on les pratiquait dans les sociétés rurales. D’intenses échanges de graines, de savoirs et d’expériences entre communautés paysannes, menés à l’écart des grands axes de communication et en dehors de tout cadre politique et commercial.

Il n’y avait pas de ville ?

On ne trouve pas trace de réseaux urbains tels qu’on en voit dans le Sahel. C’était des civilisations agraires sans ville, dépourvues de classes marchandes, d’aristocraties marchandes, où les commerçants n’apparaissent qu’à la fin du XIXe siècle. L’histoire des végétaux ouvre ainsi des perspectives, qu’une histoire normale ne perçoit pas.


Une histoire normale ?

C’est-à-dire un discours historique qui s’est figé pendant la période coloniale et que les nationalismes ont validé et conforté à l’époque des indépendances : l’histoire de royaumes correspondant grosso modo aux Etats nations de la région des Grands Lacs. L'histoire économique et sociale, celle des plantes, des échanges du fer et du sel, montre qu’il se passait autre chose en dehors de ces monarchies. On peut ainsi entrevoir une histoire beaucoup plus complexe. Celles de sociétés dites sans Etat, avec une organisation sociale et culturelle, mais sans cour et sans aristocratie. Elles possédaient parfois des rois totémisés qui intervenaient comme arbitres. En travaillant sur les plantes, on découvre que ces espaces qu’on pensait vides étaient en fait des lieux de passage.

Dans votre équipe, on trouve notamment des linguistes. Qu’ont-ils apporté ?

Dans ce genre de programme, les historiens linguistes apportent une rigueur statistique ! Ils ont étudié la géographie des noms locaux des plantes. Des noms en bantou, la langue dominante et dans des langues nilotiques. Ce qui a permis de comprendre leur diffusion, et au-delà celle des végétaux.

La diffusion des plantes américaines dans la région des Grands Lacs correspond-elle à un ou des événements particuliers ?

On constate une coïncidence entre la densité démographique et la présence de plantes américaines. Mais il est difficile d’aller plus loin dans l’interprétation.

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