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Goscinny est, il est vrai, très en verve. Le scénariste multiplie les trouvailles. Dans son interview de 2005, Uderzo salue l'idée géniale du « parler » breton : l'habitant de Bretagne, lui-même issu quelques générations plus tôt de la Gaule, parle gaulois comme un Gaulois, mais avec une curieuse façon de construire ses phrases. Lorsque Jolitorax, cousin breton (et germain) d'Astérix, arrive dans le village gaulois, il se présente ainsi : « Je dis Messieurs : pourriez-vous m'indiquer la résidence de M. Astérix ? » Lorsque Jolitorax comprend qu'il s'est adressé à Astérix lui-même, il répond : « Je dis, ça c'est un morceau de chance. Je suis Jolitorax ! Secouons-nous les mains ! » Tout le monde comprend, et sourit à la fois : la traduction de l'anglais est littérale, y compris dans la construction des phrases. L'astuce de Goscinny traduit (c'est le cas de le dire) peut-être la difficulté qu'ont les Français à apprendre l'anglais. Ce qui, ayant vécu à New York, n'était pas le cas du scénariste.
Dignes, surtout at five o'clock
Cette créativité langagière manifeste avec tendresse l'ironie à l'égard des Anglais qui traverse tout l'album. Dans la première édition, Goscinny note qu'il ne cherche pas à se moquer des Anglais, souvent perçus en France comme arrogants. En revanche, il brocarde gentiment les clichés : le thé à 5 heures quelles que soient les circonstances (en plein milieu d'une bataille contre les Romains, les guerriers bretons arrêtent tout pour sacrifier à la tradition), la cervoise tiède, la viande bouillie, le gazon impeccablement tondu, le flegme, et cette manie de conserver « la lèvre supérieure rigide », disent les auteurs. Jamais, sous la plume d'Uderzo et Goscinny, le Breton ne perd son calme ; toujours il reste digne. Les Romains, peuple pourtant considéré comme raffiné, n'ont en revanche aucune tenue. Lorsqu'il s'agit de confisquer le tonneau de potion magique apporté par les Gaulois, des dizaines de légionnaires vident toutes les barriques de vin de Londres, -s'alcoolisant comme des soudards.
Goscinny ose beaucoup. Jusqu'à l'arrivée des deux Gaulois sur l'île de Bretagne, les habitants sirotent d'un air un peu pincé leur tasse d'eau chaude, au mieux agrémentée d'un nuage de lait. Astérix va tout changer. À la place de la potion magique – confisquée par les Romains –, il suggère aux villageois assiégés par les légionnaires de César d'ajouter à leur breuvage quelques feuilles données par Panoramix. L'effet est immédiat : les Bretons pulvérisent leurs assaillants. Dorénavant, plus aucun Breton ne prendra son eau chaude autrement qu'additionnée de ces herbes. Panoramix révèle, à la dernière case de -l'album, que la plante vient des lointains pays barbares et s'appelle le… thé. Le choc est double : les Gaulois ont donc introduit le thé en (Grande) Bretagne, produit dont quelques gouttes suffisent à décupler la force physique et mentale. Doit-on y voir une explication du fameux esprit britannique, qui presque jamais ne flanche ?
Goscinny et Uderzo renversent aussi l'Histoire. Cette fois, ce n'est pas un illustre Français qui traverse la Manche (Mare britannicum) pour chercher de l'aide contre l'envahisseur ; c'est un Breton (Jolitorax) qui franchit la mer pour solliciter un coup de main des Gaulois. L'histoire est racontée sans jalousie revancharde. D'ailleurs, dans le synopsis de l'album, Goscinny n'écrit-il pas que, longtemps, les Bretons ont aidé les Gaulois à combattre Jules César, ce qui a conduit l'empereur romain à envahir l'île ? L'aide d'Astérix et Obélix ne serait donc qu'un service rendu bien légitime, un peu comme La Fayette aidant les colons américains à chasser les… Anglais.
Parfois, malgré tout, les auteurs ont la dent un peu dure. C'est le cas lors du morceau de bravoure des aventures d'Astérix chez nos voisins bretons, le fameux match du « tournoi des Cinq Tribus » opposant Camulodunum à Durovernum. La rencontre met aux prises des brutes épaisses qui ne doivent respecter qu'une règle : ne pas utiliser d'armes. On s'empoigne, on se tabasse, et l'arbitre laisse faire. Certes, à la fin, les joueurs des deux équipes se saluent fraternellement. Mais on ne peut s'empêcher de penser que cette vision du rugby, en tout cas de son lointain ancêtre, souligne quelques complexes français : à l'époque, l'équipe de France était régulièrement battue par ses adversaires britanniques dans le tournoi des Cinq Nations…
L'album
Date de publication
1966 (8e album). Prépubliédans Pilote, du no 307 (9 septembre 1965) au no 334 (17 mars 1966).
Résumé
César vient d'envahir l'île de Bretagne. Toute ? Non. Un village résiste. L'un de ses habitants, Jolitorax, part en Gaule solliciter l'aide de son cousin Astérix. Avec Obélix, le Gaulois traverse la Manche pour épauler Jolitorax.
La case
Une sorte de choc des cultures. Alors que le Breton bichonne à la mini serpe son gazon,la carriole d'Astérix et Obélix arrive au grand galop et le ravage. Les légionnaires romains n'ont pas plus d'égards pour le tapis de billard anglais, que défendra ensuite, javelot bien en main, le propriétaire du terrain. Flegmatique, sans doute, mais pas couard.
La phrase fétiche
« Qu'est-ce que je vous sers pour arroser le sanglier bouilli ? De l'eau chaude, de la cervoise tiède, ou du vin rouge glacé ? »