Violences sexistes et sexuelles Parti pris

#MeToo : la force tranquille de l’information

Depuis plusieurs jours, certains médias, y compris sérieux, évoquent l’existence d’une supposée « liste » d’auteurs présumés de violences sexuelles, que Mediapart s’apprêterait à publier. C’est faux, évidemment. À la veille de l’ouverture du Festival de Cannes, le spectacle médiatique est pathétique.

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Une rumeur émanant d’un compte complotiste, reprise sur les réseaux sociaux, alimentée par plusieurs médias et finissant dans les journaux d’information d’une matinale… Depuis plusieurs jours, nous assistons, médusé·es, au parcours fou d’une prétendue « liste », voire d’une « liste noire » d’auteurs de violences sexistes et sexuelles que Mediapart s’apprêterait à révéler en ouverture du Festival de Cannes, mardi 14 mai.

C’est faux, évidemment. Disons-le d’emblée : Mediapart ne publie pas de « liste ». Quand nous révélons des faits à propos de violences sexistes et sexuelles, comme sur l’ensemble des sujets d’intérêt général que nous couvrons, nous publions des « enquêtes » portant sur des informations recoupées.

Celles-ci prennent souvent plusieurs mois, au minimum plusieurs semaines. Car le temps du recoupement des informations est incompressible, et long, tout comme celui du contradictoire (qui consiste à questionner les personnes ou les institutions mises en cause).

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Installation de l'affiche officielle du 77e Festival de Cannes sur la façade du Palais des festivals, le 12 mai 2024. © Photo Valery Hache / AFP

Enfin, nous ne commentons jamais une enquête avant qu’elle ne soit publiée. Nous le disons régulièrement (et déjà en 2014, année de l’affaire Cahuzac, à la suite d’un article de Libération évoquant – déjà – une « rumeur ») : une enquête qui n’est pas publiée n’existe pas. 

Force de la rumeur et paresse journalistique

Nous avons longuement hésité avant de rappeler ces évidences. Répondre à la rumeur, c’est prendre le risque de contribuer à lui donner de l’épaisseur et d’alimenter la machine à clics et à buzz qui pourrit le débat public et le champ médiatique – la chronique de Cyril Lacarrière lundi sur France Inter est particulièrement éclairante.

Mais le délire collectif a pris une nouvelle ampleur sur une autre antenne, celle de France Info TV, lors d’un JT matinal au cours duquel il a été prétendu qu’« une liste de personnalités [...] devrait être publiée demain dans une enquête de Mediapart ».

Trois heures plus tard, la chaîne rétropédalait partiellement : « On disait [qui ? – on ne le saura pas – ndlr] que Mediapart devait la produire, Mediapart dit que pas du tout et qu’ils n’ont jamais eu vent de cette liste. Il s’agit pour le moment d’une rumeur. Il faut dire qu’aucune information n’est confirmée, qu’aucun fait n’est avéré et surtout, qu’aucune plainte n’est déposée. » 

France Info TV ne nous a jamais contacté·es. Certaines rédactions ont pris la peine de le faire, Le Parisien en France, Variety et The New York Post pour la presse étrangère, ainsi que plusieurs émissions de France Télévisions – nous avons démenti à chaque fois avec la même vigueur. 

Les autres s’en sont allègrement dispensées, à l’image de cet article du Progrès et du Dauphiné libéré commençant par ces mots : « Lundi 6 mai. L’auteure de ces lignes reçoit un SMS : “Une grande enquête de Mediapart doit sortir à l’ouverture du Festival de Cannes sur le #MeToo français, avec de nouveaux noms de comédiens-réalisateurs. Ça te dit quelque chose ?” Oui […]. » 

Une attaque contre #MeToo et le travail de la presse

Tout cela pourrait prêter à sourire. Simplement, en propageant cette rumeur, la presse contribue à se disqualifier. Par les temps qui courent, c’est une mauvaise nouvelle.

Ensuite, la généalogie de cette fausse information est bavarde : elle est née d’un tweet d’un compte complotiste, elle a ensuite été relayée par les médias de la sphère Bolloré (C8 et Cyril Hanouna en tête), puis par des journaux assumant une ligne anti-#MeToo (comme Le Figaro).

Ce bruissement indigent permet aux un·es et aux autres de proclamer tranquillement (dans L’Opinion par exemple) que #MeToo va « trop loin », que « l’air du temps » est irrespirable, tant la « délation » et le « tribunal médiatique » ont provoqué des « morts sociales » en pagaille.

Il permet d’éviter d’affronter les informations d’intérêt public publiées par Mediapart (et d’autres titres comme TéléramaLibération ou Le Monde récemment – pour ne citer que quelques exemples) sur le monde du cinéma. Lundi soir, le magazine Elle a également révélé les témoignages de neuf femmes mettant en cause le producteur Alain Sarde.

La rumeur, elle, offre une esquive à celles et ceux qui ne veulent entendre ni Judith Godrèche, ni Adèle Haenel, ni Isild Le Besco et tant d’autres. Qui refusent de bousculer leurs certitudes, de questionner le cinéma, le rôle de l’image et de l’art dans nos représentations et la reproduction des rapports de domination et de pouvoir.

Le journalisme est précisément le contraire : enquêter, mettre au jour des faits qui nous dérangent et nous questionnent, penser contre soi-même, informer les lecteurs et les lectrices hors de tout agenda dicté par les réseaux sociaux. C’est ce que nous tentons de faire, quotidiennement, dans Mediapart. 

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