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Procès de trois cadres du RN pour provocation à la discrimination : « Ce dossier est d’une actualité brûlante ! Vous devez dire ce qu’est le droit ! »

Par Ingrid Gallois

Publié le , mis à jour le

Steeve Briois et Sophie Montel, en campagne lors d’une législative partielle en 2015 dans le Doubs.

Steeve Briois et Sophie Montel, en campagne lors d’une législative partielle en 2015 dans le Doubs. ALAIN ROBERT/APERCU/SIPA

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Récit  Ce mardi se tenait au tribunal de Nanterre le procès de quatre membres ou ex-membres du Rassemblement national. Ils étaient renvoyés après la diffusion d’un guide à destination des élus municipaux en 2014, faisant la promotion de la préférence nationale. Des peines avec sursis ont été requises. Compte rendu.

Avant même que l’audience débute, déjà les voix s’élèvent et s’indignent. « C’est une plaisanterie ! Ça commence bien ! » s’exclame Me Arié Alimi, avocat de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), partie civile. Celui-ci vient d’apprendre que le procureur de la République de Nanterre s’associe à la demande de renvoi formulée par la défense des quatre membres ou ex-membres du Rassemblement national (RN) poursuivis pour provocation à la discrimination et complicité.

Jean-François Jalkh, ancien député européen, Steeve Briois, le maire d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Sophie Montel, ex-secrétaire nationale du FN chargée des élus, et Marie-Thérèse Costa-Fesenbeck, adjointe au maire de Perpignan, tous absents à l’audience, sont impliqués dans la publication en 2014, en pleine campagne pour les élections municipales, du « Guide pratique de l’élu municipal », dans lequel les élus sont incités à appliquer la préférence nationale, notamment dans l’attribution de logements sociaux.

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« Un combat idéologique »

Depuis 2022, le procès peine à se tenir en raison de renvois successifs. Ce mardi 18 juin, pour la troisième fois, les avocats de la défense renouvellent une demande similaire. Plusieurs arguments sont avancés. Me Rodolphe Bosselut, avocat de Marie-Thérèse Costa-Fesenbeck, explique l’incidence qu’aura le dossier sur le déroulement de la campagne en cours et les élections à venir. « Je ne veux pas que ce procès soit instrumentalisé et que la sérénité de nos débats soit en danger », affirme-t-il.

Il concède que le dossier a été martyrisé par les renvois et une instruction longue, mais il évoque ici un cas de force majeur, une situation imprévisible et extérieure à la volonté des prévenus. « Vous menez ici un combat politique et idéologique avec l’espoir de criminaliser le concept phare du parti alors que celui-ci est soumis au vote de millions de personnes. Nous sommes au procès des prévenus, et non du parti », déclare Me Bosselut en s’adressant aux parties civiles. A l’appui de son propos, il souligne la différence entre le public présent dans la salle en janvier et celui d’aujourd’hui.

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Me Jean-Marc Florand, défenseur de Steeve Briois, avance de son côté l’usage de ne pas mettre un examen un candidat en campagne. Son client est suppléant dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais. « Notre demande ne résulte que de la nécessité absolue de tenir un procès équitable et dépassionné », avance-t-il. Enfin, Me David Dassa Le Deist informe le tribunal de l’état de santé de son client, Jean-François Jalkh, toujours sous curatelle, aucune disposition ne prévoyant le jugement d’un prévenu dans ce cas.

« Ce 18 juin est presque un symbole »

« Pourquoi ont-ils si peur ? De la justice, de la décision qui va être rendue ? Ce 18 juin est presque un symbole, qui appelle à la résistance à la pression qui vous est opposée », commence Me Jérôme Karsenti, avocat de la Maison des Potes à l’origine de la plainte, en s’adressant aux magistrats. Selon lui, le droit est intimement lié à la politique, il interroge la République. Cette audience n’est pas instrumentalisée, elle donne au contraire une puissance, une vérité et une importance au débat judiciaire, selon l’avocat.

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A l’argument de Me Florand, il oppose l’exemple de François Fillon mis en examen en 2017, alors qu’il était en campagne présidentielle. « Jusqu’à quand va-t-on nous servir l’argument de l’intrusion politique dans le judiciaire ? A mon sens, vous ne pouvez être pris en otage. Nous parlons ici droit dans un cadre qui interroge la politique », finit-il.

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Son confrère Me Slim Ben Achour, avocat lui aussi de la Maison des Potes, souligne que la pression médiatique et sociétale n’est pas nouvelle. La justice se doit de rester indépendante et non paralysée parce qu’un dossier est scruté par les médias. Me Alimi ose même la comparaison suivante : « Si le ministère s’associe à la demande de renvoi, je comprendrai mieux ce qu’il s’est passé il y a quatre-vingts ans dès lors que s’est posée la question de la soumission de la justice à la politique quand les avocats juifs ont été expulsés. » A la suite de quoi, le procureur ne s’opposera finalement pas au renvoi.

Une atteinte à l’égalité

Après une suspension, le tribunal décide de juger l’affaire, tout en disjoignant la poursuite de Jean-François Jalkh en raison de son état. « Ce dossier est d’une actualité brûlante. Vous devez trancher pour dire ce qu’est le droit », attaque Me Jérôme Karsenti. Cette conception de la préférence nationale est une atteinte à l’égalité qui figure parmi les principes républicains, selon l’avocat. Il anticipe l’argument de la défense sur la volonté « d’interdire une opinion » et y répond : « Il n’est plus question de penser la discrimination, mais d’inciter à l’appliquer. » Le terme « pratique » énoncé dans le titre du guide montre que celui-ci n’est pas théorique.

Alors même que la préférence nationale est la colonne vertébrale du RN, à ce jour, tous les prévenus se dédouanent de la rédaction ou publication du guide. L’un de ses confrères ajoute que l’attribution des logements sociaux n’est qu’un exemple illustratif. L’application de la priorité nationale entrerait dans un champ des possibles bien plus large, soumis au pouvoir de l’élu : emploi, éducation, etc.

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Dans ses réquisitions, le procureur demandera 10 000 euros d’amende pour Marie-Thérèse Costa-Fesenbeck, Sophie Montel et Steeve Briois, assortis d’une peine de six mois de sursis pour les deux derniers : « On a une incitation claire à commettre cette distinction (entre Français et étrangers), ce sont des instructions qui sont carrément données aux élus », a estimé le ministère public.

« Open bar »

« On assiste bien à une instrumentalisation de la procédure, le débat général porte sur ce qu’il faut ou non penser et soutenir », souligne Me Bosselut. Il poursuit en affirmant : « Je n’ai pas de leçon à recevoir. Je défends. Je ne fais pas de politique. » Par ailleurs, en citant la CEDH, il rappelle que la liberté d’expression est étendue pour un homme politique, et plus encore dans le cadre de sa campagne.

Il dénonce une démarche liberticide sous couvert d’une bonne cause. Le nombre de parties civiles constituées le dérange : « Cela permet simplement de nous répéter huit fois la même chose. A partir du moment où le FN est en cause, c’est open bar ! » Enfin, il défend le fait que la priorité nationale ne vise aucun groupe particulièrement, si ce n’est de dissocier les citoyens des non-citoyens. « On est culpabilisés donc je dis non-citoyen et pas étranger, alors même que cette distinction existe depuis l’Antiquité, dès lors qu’on parlait de métèques. » La question n’est par ailleurs pas d’exclure mais de prioriser, selon lui.

Me Briquet souligne ensuite l’absence d’éléments d’investigation prouvant les différentes mises en ligne du document incriminé : « En cinq ans d’information judiciaire, aucune perquisition ni aucune expertise informatique n’ont été faites. » Aucune preuve ne justifie les dates avancées dans le dossier et l’origine de la publication. « Le principe d’égalité, c’est aussi applicable pour les droits du RN, fussent-ils désagréables pour certains », continue-t-il. Le sujet est, certes, polémique et porte à débat, mais il n’appelle en aucun cas à la haine ou à la violence, qui constituent les limites à ne pas dépasser. C’est par ses contradictions que la liberté d’expression continue d’exister. Le tribunal rendra sa décision le 3 septembre.

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