Chronique

Virginie Viard sur le départ : insomnie chez Chanel !

Publié le 6 juin 2024 à 8h19, mis à jour le 6 juin 2024 à 10h05

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Virginie Viard, la directrice artistique qui avait succédé à Karl Lagerfeld après le décès de celui-ci en 2019, quitte la maison de la rue Cambon. Un coup de tonnerre sur la planète mode que commente notre chroniqueuse.

Virginie Viard, lors du défilé Chanel pour la Fashion Week de Paris, collections de haute couture automne hiver 2023-2024, le 4 juillet 2023. JM HAEDRICH/SIPA

Certaines insomnies tombent à point nommé. Le métier de votre serviteuse est d’écrire sur la mode, de raconter en quoi elle est le changement stylistique permanent nécessaire à notre respiration. Et parfois, mon métier est aussi de tenter d’y voir clair dans un autre genre de changement : celui des directions artistiques à la tête des maisons de couture. La nouvelle du départ de Virginie Viard, directrice artiste de Chanel (mode) depuis la disparition de Karl Lagerfeld en 2019, est ce qu’on appelle un pavé dans la mare. Cela survient quasi en pleine nuit.

Indépendamment de l’heure, il est évidemment trop tôt pour bâtir des hypothèses sur qui remplacera Virginie Viard à la tête de la plus grande maison de mode au monde. Certes, ce serait amusant de lancer des noms, et dès que tout le monde sera réveillé (j’écris cet article en pleine nuit, en découvrant l’information), vous verrez courir les spéculations.

C’est facile de lancer des noms, car tous les créateurs rêvent d’être à la tête de Chanel. Certains le font savoir en imitant sciemment les codes de la maison depuis là où ils sont, comme pour prouver qu’ils sauraient faire, et d’autres, plus discrets, se contentent de prouver, par leur travail, leur adéquation avec un esprit Chanel, une discrétion, une constance… Mais hélas souvent dépourvue de toute la part d’esbroufe malgré tout nécessaire pour tenir un tel poste

La formule est une lapalissade mais je vais l’écrire quand même : n’est pas Karl Lagerfeld qui veut.

En même temps, nous ne sommes déjà plus au temps de Karl. Maria Grazia Chiuri, chez Dior, est fort peu médiatisée, en fait. Et pourtant sa puissance ne cesse de monter. Le système de Karl ne serait même sans doute plus le bon, aujourd’hui. Il y avait parfois, chez Karl, de tels décalages entre le côté jubilatoire des mises en scène et la réalité des vêtements, pas si faciles malgré des coups de génie.

Le défilé croisière Chanel 2024-2025 , le 2 mai 2024 à Marseille, sur le toit de la Cité radieuse de Le Corbusier. MARC PIASECKI / GETTY IMAGES VIA AFP

Avec Virginie Viard, Chanel a retrouvé une « main » Coco, plus légère. C’est Coco Chanel qui aimait cette légèreté, ces doublures mouchoir en fraîche cotonnade dans les tailleurs, ces choses désuètes mais irrésistibles. A cela, Virginie Viard a ajouté sa marotte : les années 1980. Connaissant son Karl et sa Coco sur le bout des doigts (elle est là depuis trente ans), elle a fait un mélange des deux. Elle a aussi dédramatisé Chanel. Une sorte de « low profile » qui la définit presque entièrement.

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Même si Virginie Viard avait été désignée par Karl comme sa successeuse, même si elle était imprégnée de Chanel au point d’en avoir fait une sorte de langue maternelle, elle restait comme en retrait par rapport au poste. Refusait les interviews alors que son prédécesseur était tout constitué d’une jouissive logorrhée. Refusait même qu’on la décrive en train de travailler. Refusait de faire la blague, comme on dit. Je me souviens de l’avoir qualifiée de timide en lui parlant au dernier show, à Marseille, et elle a dit : « Non, je ne suis pas timide, moi. » Et je crois qu’il faut la croire, c’était autre chose. Une façon de rester au bord de l’histoire.

Virginie Viard a peut-être rêvé de ce poste, mais fondamentalement une part d’elle, immense, n’en voulait pas. Je la soupçonne d’avoir su depuis le début qu’elle était là par fidélité. Bien sûr, cela devait fluctuer, passer de l’intérim à une euphorie, voire à une envie. Mais cette retenue se voyait comme le nez au milieu de la figure. Virginie proposait une mélodie quand ce milieu envoie à tour de bras des symphonies.

Chanel va bien : +14 % aux dernières nouvelles. Chanel va bien malgré un accueil mitigé du dernier défilé (croisière 2025) à Marseille. Les gens, sur les réseaux sociaux, ont exprimé vertement leur déception. On leur proposait une sorte d’« understatement », tandis qu’eux ne demandent qu’une chose à la maison : que ça emporte. On leur proposait la paix quand, même ici dans le monde des habits, ils attendent une machine de guerre. Si l’on considère que nous parlons en l’occurrence d’une machine de guerre sans victimes, disons qu’ils n’ont pas forcément tort.

Virginie s’en va. Il est 5h53 du matin au moment où j’écris et je n’ai eu personne au téléphone, et pas la moindre rumeur à me mettre sous la dent (de toute manière, quelle horreur, les rumeurs), je n’ai que mon cœur et mon expérience pour comprendre, et je pense à cette femme, et je tombe sur l’énigme qu’elle représente. Comme la fille d’un monarque prise dans un destin. Quelque part, elle retrouve la liberté.

Pour le reste, tout sera sans doute très excitant. Il va se passer quelque chose. La mode vit autant de ce qu’il se passe que de ce qui passe.

La mode est une pochette-surprise.

Par Sophie Fontanel

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