Couverture fascicule

Jean-Michel Mouton (dir.), Sadr, une forteresse de Saladin au Sinaï. Histoire et archéologie, 2010

[compte-rendu]

Année 2011 169-4 pp. 359-360
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Bibliographie

forteresse fantôme, élevée en pleine région désertique du Sinaï, occupée moins d’un siècle et abandonnée dès le milieu du xiiie siècle ; même son nom disparut au profit du nom moderne de Qal’at al-Ğindī, au point que l’identification en demeura problématique jusqu’aux deux inventions simultanées et parallèles de Jules Barthoux et Hassan Sadek à la veille de la Grande Guerre. La forteresse fut fondée par Saladin sans doute en 1174, alors qu’il venait de prendre le contrôle de la Syrie, son maître Nūr-al-dīn venant de mourir ; le sultan choisit un point stratégique, contrôlant une étape caravanière importante sur la route du Caire à Ayla traversant le Sinaï pour contourner le royaume franc de Jérusalem. Mais les inscriptions conservées et retrouvées sur le site montrent que l’essentiel des constructions fut réalisé par le gouverneur

Άli b. Muḥammad Saẖtkamān et son fils ou petit-fils Abū Bakr b. Saẖtkamān. La chute de Jérusalem le 2 octobre 1187, après la funeste défaite de Ḥ̟aṭṭīn, allait néanmoins reléguer

Ṣadr à un rôle de second plan stratégique de, peut-être après le séisme de 1202. Elle vécut une période de renouveau à la fin de la cinquième croisade, en 1221, sous le sultan al-Malik al-Kāmil, neveu de Saladin, peut-être dans la perspective d’une perte de Jérusalem ; celle-ci n’intervint qu’en 1229. Mais la réhabilitation ne dura guère plus d’une génération ; dès le milieu du xiiie siècle, le site semble avoir été définitivement abandonné. Sans doute cette seconde – et définitive – mort de la forteresse fut-elle déterminée par la fin des ambitions conquérantes franques au Proche-Orient, perte de Jérusalem en 1244, défaite de saint Louis à Damiette en 1250 ; probablement faut-il y ajouter un appauvrissement des sources en eau qui faisaient l’un des intérêts majeurs du site en tant qu’étape des grandes caravanes, qui se déplacèrent vers le nord en empruntant des itinéraires plus courts, approvisionnés par de nouvelles citernes et réservoirs. Les campagnes de fouilles et de restaurations menées durant cinq ans par la mission archéologique ont permis de préciser largement l’esquisse de plan constituée par Jules Barthoux. La forteresse, grossièrement triangulaire, ceinture la totalité d’un vaste plateau qui domine la région, formant un point de surveillance admirable – sauf sa situation dans un terrain désolé que devaient à peine adoucir les réservoirs constitués artificiellement, retrouvés par l’équipe. Cette forteresse de relief était exceptionnellement flanquée de nombreuses tours, malheureusement conservées seulement sur leurs premières assises ; il est remarquable de constater que furent utilisées de façon simultanée des tours circulaires et quadrangulaires de formes et de diamètres différents. Jean-Olivier Guilhot propose d’y voir un véritable «laboratoire de formes » , soulignant qu’il ne semble y avoir aucune règle qui ait prévalu pour le choix de l’un ou l’autre des plans retenus, et ceci dans un intervalle de temps relativement bref – une quinzaine d’années tout de même. Les courtines étaient pour la plupart garnies d’archères disposées à intervalles réguliers ; mais, ici encore, aucun règle ne s’est imposée, puisque certaines courtines sont pourvues d’archères à niches assez classiques de l’architecture ayyubbide, alors que d’autres sont percées d’archères à ébrasement simple. Ces courtines avaient des hauteurs assez faibles – de l’ordre de 4 m – qu’il faut néanmoins rapporter aux escarpements qu’elles surmontaient. Le morceau de choix de l’enceinte fortifiée en est le dispositif d’accès, constitué par deux portes monumentales ouvertes successivement dans une barbacane et dans l’ouvrage d’entrée lui-même, constitué par un passage coudé suivant la tradition ayyubbide. La première porte était accostée d’un bas-relief figurant un lion passant ; la plate-bande surmontant la seconde était pour sa part décorée d’une inscription à la gloire de Saladin, datant la porte de 1187, encadrée par deux boucliers croisés d’une épée droite dans son fourreau. Enfin, le passage voûté coudé au revers était sans doute placé sous la protection d’un mīrḥāb, dispositif assez coutumier dans l’architecture musulmane. Les défenses de Sadr ainsi révélées sont exceptionnelles dans le corpus ayyubbide, se situant juste après celles du Caire, représentatives d’un nouvel art de fortifier nourri à des sources d’inspiration diverses à une époque charnière tant du côté franc que du côté musulman. Mais la révélation du site ne se limite pas à cette enceinte fortifiée : c’est toute l’occupation interne de la citadelle qui a été mise au jour, avec son caractère exceptionnel d’enceinte de garnison et d’établissement cultuel marqué par la présence de quatre mosquées ou édifices réservés au culte, au centre de l’enceinte, avec l’aménagement de plusieurs hammams, latrines, citernes, etc. Dans cet ensemble, l’archéologie a permis de distinguer les deux phases d’occupation : la première, sous le règne de Saladin, avec un aménagement relativement luxueux par ses décors ; la seconde, sous son neveu, marquée par une restauration complète dans un mode plus économique, comme si l’on avait reconstruit dans l’urgence et le manque de moyens. Enfin, l’archéologie, l’étude de l’épigraphie, celle des

graffiti et des papiers retrouvés convergent pour dater au milieu du xiiie siècle l’abandon définitif, qui fut planifié et réalisé méthodiquement par un enlèvement des objets ayant quelque valeur. Les chapitres consacrés aux inventaires – inscriptions épigraphiques, graffiti, monnaies, armes, mobiliers, etc. – sont d’autant plus

360 importants que cet ensemble est extrêmement concentré dans le temps et constitue un remarquable marqueur chronologique. L’articulation en deux volumes, le premier consacré aux textes, le second aux illustrations, facilite la lecture de cet ouvrage clair et bien écrit, accompagné d’un index et d’une bibliographie, qui constituera désormais une référence pour l’architecture ayyubbide et plus généralement pour la connaissance de la culture et de la société sous Saladin et ses descendants. Jean Mesqui

Architecture médiévale et moderne

herveline DelhuMeau, Le Palais de la Cité, du Palais des rois de France au Palais de Justice, paris, actes Sud/ aristeas/ Cité de l’architecture et du patrimoine, 2011, 26,5 cm, 133 p., fig. et ill. en coul., plans, cartes, avec un DVD joint de 42 minutes. -ISBN : 978-2-7427-7207-0, 32 €.

Consacrer au Palais de la Justice de Paris un livre à destination d’un public élargi est assurément une initiative très louable, et l’on doit féliciter les coéditeurs, dont la Cité de l’architecture et du patrimoine, de l’avoir prise, dans le cadre de leur collection «Les grands témoins de l’architecture » . Aussi aurait-on quelque mauvaise grâce à porter une critique pointue de spécialiste au résultat de cette initiative qui permettra à un grand nombre de découvrir l’histoire du palais de son origine jusqu’à nos jours, avec une profusion d’illustrations – reproduction de vues anciennes et de plans, photographies anciennes, restitutions de Viollet-le-Duc, photos actuelles, restitutions 3D informatiques «hyperréalistes » – ; avec un texte d’accompagnement historique et archéologique assez facile à lire, même s’il est plus compact et sans doute plus hermétique que dans un ouvrage grand public habituel ; enfin avec un DVD destiné à un accès audio-visuel certainement plus facile, quoique plus schématique. Malgré tout cela, il n’est pas possible de passer sous silence, dans les colonnes du

Bulletin monumental, les défauts d’une telle entreprise au regard de la présentation du monument lui-même. Au plan de la forme, d’abord, on peut légitimement s’interroger sur le parti-pris graphique consistant à gommer volontairement les différences entre reproductions anciennes, photos modernes et restitutions 3D. Ceci est particulièrement vrai pour les deux dernières catégories d’illustrations, à tel point qu’on se prend parfois à douter à première vue de la nature de la représentation