« Prétendre réaliser une révision constitutionnelle est soit une utopie, soit un projet de coup d’état constitutionnel », selon l’association des Élites et des Cadres de Centrafrique

Publié le 14 avril 2022 , 8:04
Mis à jour le: 14 avril 2022 12:47 pm
Un exemplaire des nouveaux timbres postaux et fiscaux à l'honneur du Président Faustin Archange TOUADERA.
Un exemplaire des nouveaux timbres postaux et fiscaux à l’honneur du Président Faustin Archange TOUADERA.

 

La convocation du Congrès est-elle une option ouverte, pour procéder à une révision constitutionnelle?

 

L’intérêt de la discussion entrouverte, par les Pouvoirs publics, le 27 mars 2022, en ce qui concerne la révision de la constitution, est celui de savoir si la constitution, en l’état de son application, est susceptible d’être révisée, peu importe pour des motifs de formes ou même de fonds ? La réponse à cette question est inscrite dans la lettre de la constitution, notamment dans son titre XVI, qui a instauré une période transitoire. Il suffit de bien savoir la lire pour la découvrir :

Article 152: La révision de la constitution intervient lorsque le projet ou proposition présenté, en l’état, a été voté par le Parlement réunit en Congrès à la majorité des trois quart (3/4) des membres qui le composent

Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie, en cas de vacance de la Présidence de la République ou lorsqu ’il est porté atteinte à la sécurité et à l’intégrité du territoire.

 

La constitution centrafricaine est, bien entendu, théoriquement révisable, comme tout acte fondamental.

 

Cependant, elle ne peut être révisée, que dans le strict respect des règles de procédure soit par le «Congrès», soit par recours au «Référendum». Or, le recours à ces deux mécanismes constitutionnels sont soumis à des conditions.

Lors de son entrée en fonction en 2016, le Président de la république a reçu du peuple centrafricain, à travers l’article 155 de la constitution, instruction de mettre en place, dans les 12 mois qui suivent la date de son investiture, toutes les institutions de la république à l’exception du Sénat, dont la mise en place, selon l’article ne peut se faire «qu’après» la mise en place des institutions municipales et régionales.

Or, le Représentant des pouvoirs publics au Dialogue républicain, faisant fi de l’article 152, a fait des interventions sur le « Congrès et sur le «Référendum», les présentant comme étant des instruments juridiques susceptibles, pour le Président de la république, d’y recourir comme il l’entend et à sa convenance, notamment dans les périodes courantes.

Les centrafricains et les centrafricaines ont le droit d’avoir quelques éclairages, pour se faire des avis sur les subites envies de révisions, dont on saura tôt ou tard les orientations qui les animent.

 

Envisageons les deux alternatives, à savoir la révision constitutionnelle par le Congrès et la révision constitutionnelle par le Référendum.

 

D’abord, il faut savoir que tout le Titre XVI de la constitution sont des dispositions majoritairement transitoires et quelques unes sont finales. Les dispositions transitoires d’un textes sont appelées à disparaître une par une, dès la survenance des faits qu’elles ont prévu. Elles s’éteignent, alors, par leur caducité.

Or, les prescriptions transitoires de la constitution du 30 mars 2016 demeurent encore en partie applicables, car les institutions qui devaient être installées, dans les délais impartis, n’ont pas toutes été mises en place, à ce jour. C’est le cas, en ce qui concerne le Sénat, qui n’est pas encore installé et sans lequel, il ne peut être convoqué de «Congrès».

C’est l’installation du Sénat qui aurait été le point final de la période transitoire, ouverte par l’article 156 de la constitution. Si le Sénat avait déjà été installé, toutes les dispositions transitoires du Titre XVI de la constitution, exceptées les dispositions finales, auraient été les unes après les autres et par automaticité, frappées de caducité immédiate.

La période transitoire s’éteignant, ainsi, d’elle-même, réviser la constitution pour y supprimer formellement des dispositions frappées de caducité, n’est donc que de l’esthétisme rédactionnel et n’a aucune urgence.

C’est pourquoi, l’on ne peut être que surpris, de constater que d’aucuns allèguent d’une urgence subite, que personne ne comprend, en s’égosillant sur le caractère impératif de réécrire la constitution, si ce n’est autre chose qui soit en vue.

 

L’Assemblée nationale peut-elle exercer, seule, les attributions du Congrès?

 

La première question, qui vient à l’esprit, est celle de savoir, si dans l’état constitutionnel de notre pays, le Centrafrique, le Congrès peut-il être convoqué, sans le Sénat? Le Président de la république peut-il recourir à l’option de la convocation du Congrès, sans l’existence organique du Sénat, pour procéder à une révision constitutionnelle?

Cette interrogation renvoie à la connaissance de ce que c’est le Congrès?

L’article 65 de la constitution dispose:

Les deux chambres du Parlement peuvent se réunir en «Congrès», à la demande du Président de la République pour:

  • Entendre une communication du Président de la république ou recevoir un message du Président de la République;
  • Se prononcer sur une projet ou une proposition de révision constitutionnelle.

Ainsi donc, le Congrès n’est pas un ensemble d’attributions de l’exercice du pouvoir législatif.

Le Congrès, c’est la réunion «organique» des deux Chambres parlementaires et, il n’exerce aucune attribution législative ordinaire. Il est un organe, non permanent dont les compétences sont spécifiques et limitativement définies à l’article 65 de la constitution.

Et, donc, si le Sénat n‘est pas encore installé, c’est bien parce que le Président de la république ne s’est pas, du tout, donné les moyens de recourir, en temps opportun, à sa mise en fonction de sorte qu’il se retrouve, par son propre fait, dans l’impossibilité de pouvoir recourir à la convocation du Congrès.

En effet:

1- La constitution a, pourtant, donné au Président de la République 12 mois, à compter de son investiture, pour procéder à l’installation de toutes les institutions de la constitution, de sorte que c’est, s’il s’était acquitté de l’instruction qui lui avait été donnée, notamment en organisant les élections municipales et régionales, il aurait été en situation de procéder à l’installation du Sénat. Ce qui l’aurait placé en situation, légale, de pouvoir convoquer aisément le Congrès, constitué par les deux Chambres parlementaires.

  • – Or, 12 mois après son investiture en 2016, le Président élu n’a pas réalisé la totalité de l’instruction qu’il a reçue du peuple. Mais encore, au terme de son mandat de 2016 à 2021, soit après cinq ans d’exercice de son mandat présidentiel, il n’a pas procédé à l’organisation des élections municipales ni régionales en vue de permettre au Sénat d’être « organiquement » installé, comme deuxième chambre parlementaire.
  • – Tant que dure la période transitoire, il faut éviter des interprétations totalement erronées. L’article 156 n’a jamais substitué le Sénat par l’Assemblée nationale. L’affirmer ou le penser serait une grossière erreur de droit ou une tromperie intentionnelle, qui serait véhiculée au soutien d’une perspective non encore divulguée. L’article 156 se contente de prescrire que c’est uniquement «la totalité du pourvoir législatif» qui est exercée durant, la période transitoire, par l’Assemblée nationale, en attendant la mise en place du Sénat.

Ainsi, l’Assemblée nationale ne supplée pas le Sénat. Mais encore le Congrès n’est pas, matériellement, une attribution des activités ordinaires du pouvoir législatif. Il est un organe autonome, non permanent, qui n’est que constitué par les deux Chambres parlementaires, réunies, exclusivement sur convocation du Président de la république, et qui poursuit deux objets précis: soit recevoir et entendre une communication ou un message du Président de la République, soit se prononcer sur un projet ou une proposition de révision constitutionnelle (article 65 de la constitution).

  • – Réinvesti en 2021, nous constatons, aux jours dits du Dialogue républicain, que 12 mois après sa deuxième investiture, le Président de la république n’a toujours pas fait procéder à la réalisation des élections municipales ni régionales. Donc, le Sénat, d’un point de vue organique, n’est toujours pas constitué ni installé.

Dès lors, l’Assemblée nationale, en vertu de l’article 156 de la constitution, se retrouve de nouveau en situation d’exercer, à titre transitoire, la « totalité du « pouvoir législatif », sans être établie, comme unique chambre parlementaire. Dès lors, le Président de la république s’est lui-même fermé les porte de recourir au Congrès pour réviser la constitution, car il n’a pas permis à ce que la deuxième chambre parlementaire ait pu avoir été installée, afin qu’il puisse être en capacité Constitutionnelle de convoquer le Congrès.

  • L’exercice de la « totalité du « pouvoir législatif », par l’Assemblée nationale, ne signifie pas qu’il y a une fusion-absorption organique des deux Chambres parlementaires, en faveur de l’Assemblée nationale.
  • Le «Congrès» n’est pas une attribution matérielle incluse dans le champ des compétences législatives. Le Congrès n’est peut pas être susceptible d’être constituée exclusivement par l’une ou l’autre des chambres parlementaires.

Le Congrès est, obligatoirement, la réunion organique des deux chambres parlementaires, convoqué spécifiquement par le Président de la république, faute de quoi, le Congrès ne peut pas avoir d’existence, ni constitutionnelle, ni légale.

Or, en ce qui concerne la révision de la constitution, le peuple souverain a disposé, qu’elle ne pourra être réalisée, que selon deux procédés, alternatifs précis: soit par un vote du « Congrès », soit par le vote direct du peuple, lui-même, consulté par «Référendum».

Ainsi donc, procéder à la révision constitutionnelle, sous une forme qui ne serait pas, en l’occurrence, un Congrès, mais une délibération de l’Assemblée générale, ce serait une violation de la constitution. Le Congrès, est un organe, dont l’existence n’est pas susceptible d’interprétation et ne saurait naître d’un supplétif.

Il ne s’agit pas, ici, de l’exercice du pouvoir parlementaire au sens des articles 77 à 89 de la constitution, pour lesquels, à titre transitoire, l’article 156 en a confié l’exercice à l’Assemblée nationale, tant que le Sénat n’a pas encore été installé.

C’est dire que ceux qui s’imagineraient, qu’en vertu de l’article 156 de la constitution, l’Assemblée nationale serait en capacité constitutionnelle de se réunir, seule, en Congrès, ils font une erreur, lourdement préjudiciable à la nation.

 

En conclusion, tant que «les obligations de faire» prescrites au Président de la république n’auront pas été exécutées dans leur totalité, tant que le Sénat, dans les temps présents, n’est pas installé en tant que chambre parlementaire :

Il est irréalisable constitutionnellement, pour le Président de la République, de convoquer «le Congrès».

 

La Révision constitutionnelle par Référendum, est-elle, instamment, envisageable ?

 

L’article 152 de la constitution prescrit qu’aucune révision constitutionnelle ne peut être entreprise, « lorsqu’il est porté atteinte à l’unité et à l’intégrité du territoire ».

La question, dès lors, est celle de savoir, quel est l’état actuel de Centrafrique, en terme « d’unité et d’intégrité du territoire » ? Il s’agit d’une appréciation objective des faits, qui est de la compétence de la Cour constitutionnelle.

Toutefois, sans préjuger ni présager de sens éventuel de ce que dirait l’institution suprême, de nombreux indices permettent, sans marges d’erreurs, d’en avoir une appréhension. En effet, plusieurs des décisions de la Cour constitutionnelle et de nombreux rapports d’organismes internationaux ainsi que des ONG font état de ce que les Groupes armés « occupent » une grande partie de notre territoire national. Ces faits sont constants, aux jours du Dialogue Républicain.

Sans qu’il ne soit nécessaire d’entrer dans des investigations plus approfondies, démonstration est ainsi faite que « l’unité du pays et l’intégrité de notre territoire national » sont, dans les temps actuels, non effectives et donc compromettent l’organisation d’un référendum.

Au demeurant, un simple regard sur les conditions dans lesquelles se sont organisées les élections du 20 décembre 2020, témoignent de « l’atteinte qui est portée à l’unité et à l’intégrité du territoire centrafricain»,

par les Groupes armés.

Voilà pourquoi, au regard des conditions posées par l’article 152 de la constitution, en l’état actuel de Centrafrique, l’organisation d’un référendum en vue de la révision de la constitution est une perspective nulle.

C’est pourquoi, si dans son principe, le peuple peut faire ou défaire, tout ce qu’il a institué, il ne peut l’accomplir que dans le respect des règles, qu’il s’est lui-même imposé et, en l’occurrence, celles-ci sont les modalités de convocation du Congrès et les conditions requises pour l’organisation d’un référendum. Ces Modalités et conditions ne sont ni remplies, ni réunies, à ce jour.

En conséquence, tant par la voie du Congrès que par le référendum, en l’état actuel de Centrafrique, prétendre réaliser une révision constitutionnelle est soit une utopie, soit un projet de coup d’état constitutionnel.

Tout forcing, en révision constitutionnelle, notamment en ayant recours, à un «avis» qui, bien que correspondant à un «jugement-avant dire droit», mais qui est en Centrafrique, insusceptible de recours, sera, une fois de plus, une décision de complaisance, susceptible d’affecter durablement la paix sociale.

En effet, au regard des irritations qui se sont manifestées le 27 mars 2022, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, prendre une telle responsabilité de faire un passage en force, pour réviser la constitution, serait un acte susceptible d’être «l’allumette qui embrasera le baril de poudre, tenu à proximité de notre maison commune, le Centrafrique, avec lequel certains acteurs jouent, comme à la roulette russe».

C’est pourquoi, notre Association, notre regroupement en Think Tank, oeuvrant et travaillant pour la fortification de la technicité de nos Élites et nos Cadres, en vue de la Réforme de l’État centrafricain, de la Révision de nos politiques publiques et du Renforcement de nôtre Démocratie nationale, en appelle à la raison et à la sérénité pour que la vie publique, de notre Etat, ne soit pas entraînée spéculativement dans des querelles périphériques, qui contrarieraient notre devoir commun de concourir à la prospérité de notre Nation et à celle de nos compatriotes, dans la paix et par la solidarité.

 

 

Le Président

Me MBOE Dédé-Vianney

Commandeur de l’Ordre National du Mérite Centrafricain

Et. par Délégation

Luther Avertin ANGOBA

Master de droit

Coordonnateur des «Clubs Synergies» en Centrafrique, Secrétaire exécutif

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