Ukraine : RSF exhorte les autorités à faire cesser toute restriction abusive au travail des journalistes

Au moins 9 000 reporters couvrent la guerre en Ukraine. Outre les risques auxquels ils s’exposent sur le front, s’ajoutent des difficultés pour accéder à certains lieux et prendre des images, quand il ne s’agit pas d’interpellations injustifiées. Reporters sans frontières (RSF) dénonce ces abus et appelle le gouvernement ukrainien à faire cesser ces entraves à la presse.

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“Dans un pays démocratique, la guerre n’est pas une raison pour entraver le travail des journalistes, souligne Jeanne Cavelier, la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale. Les restrictions liées à la sécurité nationale, légitimes, doivent être proportionnées. Face à certaines interférences constatées sur le terrain, RSF exhorte le gouvernement ukrainien à établir des directives claires quant aux conditions de reportage et à les faire respecter par toutes les forces engagées.”

Près de 9 000 reporters, locaux et étrangers, sont accrédités auprès des autorités ukrainiennes pour couvrir la guerre. Ils s’engagent à suivre certaines règles - ne pas dévoiler les noms des unités ni leur localisation, ne pas filmer d’installations militaires, attendre plusieurs heures avant de publier sur un bombardement, coordonner sa circulation en zone de combats avec les forces armées, etc. Évoquant dans un post Telegram du 28 juin des “risques énormes” liés aux informations diffusées, un conseiller du président Zelensky en appelle en outre à leur “responsabilité” et pointe la nécessité d’une “autorégulation”. L’armée russe peut en effet utiliser des informations rendues publiques pour des attaques ciblées, comme l’a montré une enquête du Centre for Information Resilience. Mais si la sécurité nationale exige la protection d’informations stratégiques, des entraves injustifiées à la production d’une information fiable et objective persistent sur le terrain.

Pour prendre des photos sur la ligne de front, il y avait toujours un NON qui arrivait de nulle part”, témoigne auprès de RSF la photojournaliste française Véronique de Viguerie, qui a passé plusieurs semaines en reportage en Ukraine. La reporter de guerre a ressenti une pression pour que la figure du soldat ukrainien soit toujours présentée comme une victime et non un attaquant. “Le pouvoir ukrainien voit les journalistes étrangers comme un relais d’influence plus que comme un vecteur d’information”, déplore un autre reporter, qui souhaite rester anonyme. “J’ai été retenu plusieurs heures par des milices locales puis interrogé par le SBU [les services secrets ukrainiens] pour des photos anodines, malgré des accréditations en règle.”

Parfois, les journalistes ne sont simplement pas autorisés à partir en reportage. C’était le cas à Kharkiv pendant un certain temps : interdiction de sortir de la ville, peu importe la destination, raconte le photographe Oleksandr Brams à l’Institute for Mass Information (IMI), partenaire de RSF. Une entrave à laquelle ils se heurtent régulièrement, en particulier “dans ls moments d’intensification” des combats. Seule possibilité alors pour travailler : être accompagné par l’armée. Mais même les journalistes acceptant d’être “embarqués” se heurtent à une approche sélective déroutante des attachés de presse des forces ukrainiennes, qui peuvent décider arbitrairement d’emmener un blogueur local visiter un endroit stratégique et refuser des reporters d’agences de presse internationales.

Par ailleurs, tous les membres des forces de l’ordre ne connaissent pas les droits des journalistes accrédités. Après le bombardement d’un centre commercial à Zaporijjia (sud-est) le 26 mai, les forces de l’ordre ont interdit à plusieurs médias de filmer, dont le média local en ligne 061.ua et la chaîne d’information en continu 5 Kanal, bien après le délai d’attente de trois heures imposé par décret. Un appel au porte-parole de l’administration militaire régionale a finalement permis de débloquer la situation. Guillaume Ptack, du quotidien français Les Echos, a lui été retenu plusieurs fois à des checkpoints par des volontaires de la défense territoriale ignorant l’autorisation donnée aux médias de travailler malgré le couvre-feu. La crainte diffuse d’être arrêté aux points de contrôle dissuade la plupart des journalistes de photographier et de filmer lors de leurs passages.

“L’autorégulation” évoquée par le conseiller du président vire parfois à l’autocensure - ce qui peut mettre à mal la couverture objective des événements. Le journaliste Vadym Karpiak, présentateur sur la chaîne nationale privée ICTV, assume cette interdiction morale, “une exigence liée à la guerre” : s’il obtient beaucoup d’informations d’autres sources, il ne citera que celles confirmées par les autorités. Et la pression est forte. Malgré le respect par son équipe de toutes les restrictions légales, la rédactrice en chef du média en ligne Zhitomir.info Tamara Koval fait face à des accusations pour avoir prétendument révélé les positions de l'armée ukrainienne. Fin mai, RSF avait aussi condamné les propos de la députée Mariana Bezouhla contre le reporter de guerre Youri Boutoussov, qu’elle accusait publiquement de “faire le jeu de la Russie”. Ce type de pratique constitue dans certains cas un véritable harcèlement en ligne, dénoncé le 16 juin par la Commission ukrainienne pour la déontologie des journalistes, dans un communiqué, qui fustige aussi les tentatives de pressions de “certains hommes politiques” sur les journalistes couvrant la guerre.

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