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EXCLUSIF. Crise en Ukraine : ce que Macron va dire à Poutine

Dans un entretien au JDD, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, explique dans quel état d’esprit et avec quels objectifs il part à la rencontre de Poutine.

François Clemenceau , Mis à jour le
Vladimir Poutine et Emmanuel Macron en 2017.
Vladimir Poutine et Emmanuel Macron en 2017. © AFP

Ce sera donc le Kremlin et ses ors, le temple qui abrite le maitre russe depuis 22 ans. Et non pas la datcha où Vladimir Poutine vient de passer l’essentiel de son temps ces dernières semaines pour des raisons sanitaires. Pour Emmanuel Macron, ce sera une visite inédite puisque sa dernière rencontre avec le président russe s’était déroulée en mai 2018 au Palais Constantin, près de Saint-Pétersbourg. A l’époque, Vladimir Poutine avait tenu à dire publiquement : "un dialogue, c’est toujours mieux que la confrontation".

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La situation de ces derniers mois à la frontière ukrainienne serait-elle due à un manque d’échanges? "La période récente a confirmé que lorsqu’on décide de ne pas parler, ce qui a été le choix des Européens l’an dernier alors que la chancelière Merkel et moi-même proposions un sommet UE-Russie, on ne peut alors régler aucun conflit. Parce qu’on laisse alors d’autres parler en notre nom et qu’on ne peut pas non plus contribuer à notre sécurité collective", confie Emmanuel Macron au JDD à l’avant-veille de son départ pour Moscou et alors qu’il sort d’un entretien avec le secrétaire général de l’Otan.

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A Moscou, selon nos informations, l’entretien d’Emmanuel Macron et de Vladimir Poutine a été calé sur l’après-midi et la soirée mais sans limites de temps au chronomètre. Et il n’y aura personne d’autre qu’eux dans la pièce, hormis les traducteurs et, peut-être, des preneurs de notes muets. "Pour aller au-delà des arguments de posture, ils ont besoin de ce tête-à-tête, comme à Brégançon il y a deux ans et demi, sinon il y a la tentation de vouloir briller devant sa propre équipe et de ne pas aller au fond des choses", raconte un habitué de ces rencontres.

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Le président de la République, qui se rendra à Kiev le lendemain, ne peut pas non plus repartir sans avoir obtenu au moins un signal de "désescalade". C’est ce qu’il reconnait venir chercher. "Cela fait plusieurs semaines que je lis ou entends des grands responsables annoncer des opérations imminentes de semaine en semaine", nous dit-il. L’intensité du dialogue que nous avons eu avec la Russie et cette visite à Moscou sont de nature à empêcher que cela n’advienne. Ensuite, nous discuterons des termes de la désescalade. Il faut être très réaliste. Nous n’obtiendrons pas de gestes unilatéraux mais il est indispensable d’éviter une dégradation de la situation avant de bâtir des mécanismes et des gestes de confiance réciproques".

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"Une escalade de tensions très fortes"

Emmanuel Macron présume-t-il d’une bonne volonté russe qui lui laisse entrevoir cette décrispation nécessaire? "La situation aujourd’hui est très différente de 2008 ou 2014, répond-il, en faisant allusion à l’offensive russe en Géorgie et à la prise de la Crimée. On était à l’époque dans des phases aigues d’opérations militaires et il fallait rechercher des cessez-le-feu ou des retraits. Ici, depuis plusieurs semaines, nous observons non pas une invasion ni une opération armée pour lesquelles il faudrait réclamer un cessez-le-feu, mais une escalade de tensions très fortes, une militarisation de la frontière ukrainienne côté russe et biélorusse, des moyens terrestres, aériens et navals et des exercices militaires multiples. Dans ce contexte, notre rôle est préventif, il faut faire baisser la tension par le dialogue et éviter un conflit armé".

Comment? En offrant quelles perspectives en cas d’éventuelle baisse de la volatilité? "Tout le monde a beaucoup tapé sur la position de la France depuis la rencontre de Brégançon en 2019 qui était jugée naïve mais les réunions qui se sont enchainées depuis ont fini par percoler dans le système russe.", analyse Pierre Vimont, l’émissaire spécial du président de la République pour la Russie.

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Au début de la semaine dernière, ce diplomate chevronné était précisément dans la capitale russe à la demande de l’Elysée pour déblayer le terrain de ce qui serait discutable en cas de déplacement du chef de l’Etat. A un moment, au cours de sa conversation de trois heures avec les hiérarques du MID, le ministère des affaires étrangères russes, et le conseiller diplomatique de Vladimir Poutine, ses interlocuteurs ont commencé à parler d’"indivisibilité de la sécurité", un concept selon lequel aucun Etat ne peut faire n’importe quoi sans en subir les conséquences et qui vient à nouveau d’être validé lors du sommet, vendredi, entre Vladimir Poutine et Xi Jinping à Pékin. "Qu’est-ce que vous croyez, a rétorqué l’envoyé spécial français? Que lorsque vous annexez la Crimée et que vous agressez la Géorgie, ce n’est pas une menace et qu’il ne peut y avoir de conséquences?" Les Russes autour de la table n’ont pas répondu.

"L’objectif géopolitique de la Russie aujourd’hui n’est clairement pas l’Ukraine, mais de clarifier les règles de cohabitation avec l’Otan et l’UE, estime Emmanuel Macron. Le dialogue efficace et durable avec la Russie ne peut ni ne doit passer par la fragilisation de quelque Etat européen que ce soit. Assurer et garantir la sécurité des Pays Baltes, de la Pologne ou de la Roumanie est essentiel et constitue un préalable. La sécurité et la souveraineté de l’Ukraine ou de tout autre Etat européen ne peuvent faire l’objet d’aucun compromis de même qu’il est légitime que la Russie pose la question de sa propre sécurité".

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Nous devons donc protéger nos frères européens en proposant un nouvel équilibre capable de leur préserver la souveraineté et la paix

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Gérer l'après-guerre-froide

Cette idée d’équilibre entre la réalité de l’insécurité que fait peser la Russie sur ses voisins et le ressenti d’insécurité que met en avant le Kremlin, compte apparemment beaucoup pour le président français. Il y voit même un préalable à la discussion. "Nous Européens, nous avons à gérer l’après-guerre-froide puisque nous avons des amis, des Etats souverains européens qui ont bâti leur indépendance il y a trente ans et qui vivent dans le souvenir encore contemporain d’une relation traumatique avec la Russie, souligne-t-il. Nous devons donc protéger nos frères européens en proposant un nouvel équilibre capable de leur préserver la souveraineté et la paix. Il faut le faire en même temps dans le respect de la Russie et en comprenant les propres traumatismes contemporains de ce grand peuple et de cette grande Nation. J’ai toujours été dans un dialogue profond avec le président Poutine et notre responsabilité est de bâtir des solutions historiques. Il y a, je crois, une disponibilité du président Poutine pour cela. C’est dans cet esprit que je me rends aussi à Moscou : tenter de bâtir des réponses à l’urgence et avancer vers un nouvel ordre dont notre Europe a profondément besoin et qui repose sur le principe cardinal de l’égalité souveraine des Etats".

Voilà un discours qui devrait contenter le président ukrainien, Voldymyr Zelensky qu’Emmanuel Macron ira rencontrer mardi à l’issue de son court séjour moscovite. Il a été envisagé un moment que le chef de l’Etat prenne un peu de temps à Kiev pour aller rendre hommage aux héros de la révolution de Maïdan de 2014, ceux qui sont morts pour défendre le choix de l’Ukraine de se rapprocher de l’Union européenne. Ce geste dépend beaucoup de ce qui ce sera passé à Moscou. Mais l’idée centrale reste de convaincre les Ukrainiens de se résoudre à la patience sans répondre aux provocations dans ce climat où la guerre psychologique consiste souvent à pousser l’autre à la faute.

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"Je me réjouis qu’Emmanuel Macron se rende à Kiev mardi. Il trouvera un pays qui n’a d’yeux que pour l’Europe, écrit Nathalie Loiseau dans une tribune publiée par le JDD. La présidente (Renew, centre, libéral) de la sous-commission Sécurité et Défense du Parlement européen revient de Kiev et Marioupol. C’est dans cette solidarité sans failles avec l’Ukraine et cette fermeté exigeante mais ouverte au dialogue qu’il faut naviguer comme dans un champ de mines. Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, qui accompagnera Emmanuel Macron à Moscou, a compté ses entretiens avec les protagonistes russes, ukrainiens et alliés depuis le début de la crise. Près d’une trentaine, idem à l’Elysée au niveau des chefs d’Etats et de leurs éminences grises diplomatiques.

"S’il existe une voie diplomatique, aussi difficile et fragile soit-elle, elle doit être explorée, écrit la députée européenne passée par le Quai d’Orsay. Emmanuel Macron prend un risque en allant à Moscou et à Kiev. Un plus grand risque encore serait de ne rien faire". Mais ce risque de l’échec qui pourrait aussi avoir des répercussions sur sa présidence européenne et sur sa réélection, le président français va le prendre. Il croit aussi que c’est une forme de devoir.

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