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Le cauchemar des migrants africains vers l’Europe

Un groupe de 104 migrants d'Afrique subsaharienne sur un bateau pneumatique attend d’être secouru au large des côtes libyennes (Reuters).

Reportage en Europe d’Abdulaziz Osman et Nicolas Pinault
Revu par Peter Cobus

Février 2016

Introduction

Le monde suit avec émotion la crise des réfugiés en Europe depuis 2015, notamment les Syriens qui fuient leur pays en guerre. Depuis des années, d’autres tentent de gagner l’Europe mais font l’objet de moins d’attention médiatique, sauf en cas de tragédie.

Venus d’Afrique subsaharienne, ces migrants ou réfugiés fuient l’instabilité chronique ou la violence. Ces personnes sont les oubliées de cette crise migratoire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Elles sont 130 000 à avoir tenté de rejoindre le Vieux continent en 2015.

Morro Saneh, un mineur gambien de 16 ans rencontré dans un camp à Rome, explique : “Nous voulons simplement vivre comme des êtres humains.”

Voilà pourquoi VOA Afrique a voulu enquêter. Pour raconter l’histoire cachée de ce voyage. De Khartoum, Bamako ou Asmara, ils sont des dizaines de milliers à tenter l’aventure, souvent au péril de leur vie. Officiellement, 3.771 sont morts en tentant de traverser la Méditerranée en 2015.

Pour ce dossier spécial, VOA Afrique est allé à la rencontre des migrants africains en Europe : jeunes, vieux, femmes et hommes, etc. Tous parlent des conditions extrêmes et du danger au cours de leur voyage. Dans leur quête de la terre promise européenne, Ils  empruntent deux routes principales à travers l’Afrique. Elles convergent vers la Libye, étape incontournable de leur périple dans le Sahara. Le désert est aussi le terrain de jeu des passeurs et autres groupes criminels qui profitent de ce trafic qui génère des millions de dollar. L’aventure des migrants se transforme alors en cauchemar. Voici leurs histoires.

Note de la rédaction: Malgré d’importantes différences entre les termes migrants, réfugiés et demandeurs d’asile , nous ne pouvons pas confirmer les histoires personelles des sujets interrogés , et donc les termes sont utilisés de manière interchangeable .

1e PARTIE: Routes

Des migrants africains commencent le voyage dangereux du Niger vers la côte libyenne . (Reuters)

Selon l’Organisation internationale pour les migrations, 90 % des migrants africains ont gagné l’Italie via la Libye et 10 % depuis l’Egypte. Les Ouest-africains — surtout du Mali, Sénégal, Gambie, Ghana, et Nigeria — arrivent en Libye à Sabha via le Mali et le Niger avant de pouvoir gagner Tripoli. Ils parcourent plus de 10 000 kilomètres en quelques semaines voire des années.

Dans la Corne de l’Afrique, les migrants viennent majoritairement de Somalie et d’Erythrée. Ils gagnent ensuite l’Ethiopie, le Kenya, l’Ouganda et le Soudan.

Vidéo du portable d’un migrant somalien tournée sur un bateau de passeurs (Obtenue par VOA/Abdulaziz Osman)

“Traverser le Sahara, c’est pire que de traverser la mer. Dans l’eau, soit tu meurs, soit tu survis mais tu ne fais pas l’objet de souffrance et de peine sans fin.”

–– Hafsa, Somalienne, Rome

Toutes les routes convergent vers la Libye dont les côtes se situent à moins de 160 milles nautiques de Lampedusa, la plus grande des îles Pélages et la porte d’entrée en Europe.

Vidéo du portable d’un migrant somalien tournée sur un bateau de sauvetage de l’Union européenne (Obtenue par VOA/Abdulaziz Osman)

Les Subsahariens représentent moins de 15 % du flot des migrants entrés en Europe en 2015, soit le flux migratoire le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale. Presque tous sont arrivés via l’Italie. Contrairement à la Grèce qui a vu une explosion des arrivées à cause des conflits en Syrie, Irak et Afghanistan, le flux de migrants subsahariens est resté le même en Italie depuis quelques années.

“Il n’y a pas eu de hausse en Italie cette année”, explique Federico Soda,  le coordinateur de l’Organisation internationale pour les migrations pour la Méditerranée à Rome. “Les chiffres sont semblables à ceux de 2014 mais la composition régionale et ethnique est différente. Cela signifie beaucoup moins de Syriens, qui empruntent dorénavant la route des Balkans. Il y a plus de Ouest-africains qui sont principalement des migrants économiques et sont peut-être les oubliés à un certain niveau. C’est différent pour ceux qui viennent de la Corne de l’Afrique où règne l’insécurité et l’instabilité.”

Interview de Federico Soda, coordinateur de l’Organisation internationale pour les migrations pour la Méditerranée, Rome, Italie (VOA/Nicolas Pinault)

2e PARTIE: Libye

2e PARTIE: Libye La Libye ou l’enfer des migrants

Une paire de sandales, laissée derrière lui par un migrant, posée sur le sol dans le désert, près de la frontière libyenne.

Pour les migrants, la Libye est un paradoxe. C’est la destination principale de leur voyage souvent mortel dans le Sahara. C’est aussi le point de départ principal pour embarquer vers l’Europe à travers la Méditerranée. Tous les témoignages recueillis par VOA Afrique montrent que la Libye constitue la partie la plus sombre de leur voyage. C’est aussi là ou leur destin peut basculer.

Le chaos règne dans tout le pays, ce qui favorise les activités des groupes terroristes ou crapuleux. Ces derniers utilisent le pays comme leur sanctuaire pour gérer leur business et terroriser les migrants qui rêvent de gagner l’Europe. “De nombreux migrants sont victimes d’abus et de tortures de la part des passeurs”, explique un des tortures et “d’autres mauvais traitements dans les centres de détention du Ministère en charge de la lutte contre l’immigration irrégulière ou dans les centres gérés par des groupes armés”. Cela concerne des milliers de migrants.

“Les Libyens à la frontière nous battaient avec des tubes en plastique, nous forçaient à pousser des véhicules bloqués dans le sable… Ils nous faisaient défiler devant eux sous le soleil alors qu’ils mangeaient et buvaient devant nous.

– Husein Muhidiin, Somalien, Milan

Les enquêteurs onusiens ont aussi recueilli des témoignages faisant état de “tortures dans l’est de la Libye ou à Al-Zawiya” contre des étrangers suspectés de “terrorisme”.

De nombreux groupes opèrent en Libye, un Etat en faillite depuis la chute du colonel Kadhafi. Les migrants rencontrés par VOA Afrique expliquent avoir été contrôlés par des Libyens, des Tchadiens, des Soudanais et même des éléments se réclamant du groupe l’Etat islamique. Ces récits n’ont pu être vérifiés indépendamment mais les agences onusiennes et les ONG ont eux aussi recueilli des histoires similaires.

Selon Federico Soda, de l’Organisation internationale pour les migrations, “la plupart des migrants sont mal informés et n’ont pas conscience du danger de la situation en Libye. Ils ne savent pas non plus que les passeurs sont de plus en plus violents”, explique-t-il.

“Les témoignages sont horribles. Pour les femmes, les abus sexuels sont communs”, déplore le coordinateur de l’OIM pour la Méditerranée à Rome.

“A Tripoli, chaque jour, il fallait fuir !” C’est ainsi que Sama Tounkara se remémore son expérience libyenne. Ce jeune Malien de 23 ans a ainsi dû travailler gratuitement dans un camp militaire sous la contrainte d’une arme.

Un moindre mal comparé au calvaire imposé à la majorité des migrants. Les personnes interrogées au cours de notre enquête ont toutes décrit à VOA Afrique les mêmes abus, tortures et privations de liberté.

Une Nigériane secourue attend dans le port de Tripoli, Libye (AP)

Depuis Rome, Sama Tounkara du Mali évoque son périple en Libye. (VOA/Nicolas Pinault)]

3e PARTIE: Témoignages

3e PARTIE: Témoignages Paroles de Migrants

Rahma Abukar Ali et sa fille Sofia de Somalie, Gelsenkirchen, Allemagne (VOA/Abdulaziz Osman)

Une femme de 33 ans, mère de sept enfants qui accouche sur un navire de guerre allemand ; deux jeunes Ethiopiens retenus prisonniers par des passeurs jusqu’à ce que leurs familles paient une rançon de 8.000 dollars chacun ; un Somalien qui a vu des hommes boire leur urine dans le désert pour ne pas mourir de soif ; un jeune Gambien qui espère gagner la Suède. Chacun a une histoire unique dont la conclusion dépend de la périlleuse traversée de la Méditerranée.

Rahma Abukar Ali, 33 ans, Somalie

En août 2015, quand Rahma Abukar Ali embarque sur un bateau depuis la Libye vers l’Europe, elle sait que ce voyage marquera un nouveau départ. Ou qu’elle perdra la vie en tentant la traversée. Rahma est alors enceinte et peut accoucher à tout moment. Saine et sauve, elle raconte la suite de son périple à VOA Afrique depuis l’Allemagne où elle attend que sa demande d’asile soit étudiée depuis Düsseldorf.  Elle explique comment elle a passé les cinq derniers mois de sa grossesse à parcourir le continent. Depuis la Somalie, elle a réussi à rejoindre la Libye, exténuée dans la chaleur brulante du Sahara. Ses seuls moments de répit : les voyages en camion, entassée avec d’autres malheureux qui tentent de fuir ce pays de la Corne de l’Afrique ravagé par la guerre.

“J’avais le tournis, j’étais fatiguée par ce long voyage. Mais je ne pouvais pas avoir ce bébé en Libye. Donc, quand je suis montée sur le bateau, j’étais prête à mourir avec mon enfant ou réussir la traversée.”

Après avoir été secourue en mer,  Rahma Abukar Ali a donné naissance à une petite fille prénommée Sophia sur un bateau de la marine allemande au milieu de la Méditerranée.

Lors de cette interview menée en octobre 2015, cette Somalienne avertit les autres femmes enceintes de ne pas entreprendre ce voyage : “C’est insupportable et les gens doivent l’éviter à tout prix.” Rahma reconnait toutefois qu’elle a été relativement épargnée par les trafiquants du fait de sa condition. Dans le Sahara, les migrants endurent beaucoup de souffrances. C’est encore plus difficile en Libye.”

Interview de Rahma Abukar Ali et sa fille Sofia, Gelsenkirchen, Allemagne (VOA/Abdulaziz Osman)

La Libye pourrait devenir la Somalie de … la Méditerranée. Vous aurez des pirates en Sicile, en Crête et à Lampedusa. Vous verrez des millions de migrants clandestins. La terreur sera à vos portes.”

– Saif al-Islam Kadhafi, un des fils du colonel Mouammar Kadhafi, s’adressant aux médias, 7 mars 2011.

 

Sama Tounkara, 23 ans, Mali

Ce jeune Malien raconte son histoire près d’une tente dans un camp de la Croix Rouge italienne à Rome. Derrière la gare de Tiburtina, avec ses amis, Sama Tounkara reprend des forces avant de poursuivre son périple européen. Il affirme avoir voulu fuir la guerre et le chômage dans son pays : “Au Mali, il n’y a pas de solution” constate, fataliste, ce Bamakois.

Il se souvient d’avoir quitté la capitale malienne le 13 octobre 2014. Après être passé par Gao, il gagne l’Algérie via Tamanrasset, Bordj puis Ghardaïa. Il affirme être resté six mois. Sama a travaillé dans le bâtiment et il décrit des conditions de vie difficiles. Pourtant, c’est son passage en Libye qui constitue la partie la plus effrayante de son voyage. “A Tripoli, chaque jour, les gens venaient nous voir avec des armes pour prendre notre argent. Ils disaient qu’ils avaient du travail pour nous mais c’était une ruse pour nous racketter”. Il raconte qu’un soir, des soldats sont venus le chercher pour nettoyer un camp militaire. Après qu’il a effectué le travail et réclamé son salaire, les hommes en uniforme ont refusé de le payer et l’ont ensuite menacé avec une arme.

Sama se souvient aussi d’avoir eu “très peur” lors de la traversée de la Méditerranée avec les 146 autres personnes qui se trouvaient sur le bateau. Il a cru mourir en attendant pendant sept heures qu’un navire européen de l’opération Triton ne vienne les sauver. Au total, il aura dépensé un million de FCFA pour arriver en Europe. Il espère pouvoir gagner l’Allemagne et demander le statut de réfugié.

Interview de Sama Tounkara du Mali, Rome, Italie (VOA/Nicolas Pinault)

Dalmar et Ahmed, 16 ans, Ethiopie

Dalmar et Ahmed font partie de ces milliers d’adolescents africains qui tentent de rejoindre l’Europe. A leur demande et par peur des représailles, les prénoms de ces deux mineurs non-accompagnés ont été changés. Ces deux jeunes hommes indiquent juste être originaires de la région somalienne d’Ethiopie.

Ils racontent que leurs amis, déjà en Europe, les ont incités à entreprendre le périlleux voyage.

“Nous sommes partis pour différentes raisons. A cause du chômage, nous avons vu nos ainés être désœuvrés, à ne rien faire. C’est pour ça que nous avons décidé de partir”, explique Ahmed.

“Dès que nous sommes arrivés à Addis-Abeba, les passeurs nous ont conduits vers le Soudan. Nous avons marché huit heures jusqu’à la frontière entre l’Ethiopie et le Soudan”, raconte Dalmar. Ils ont ensuite traversé le désert du Soudan jusqu’en Libye. Après cinq jours de marche ininterrompue, les deux amis sont arrivés à Ajdabiya, dans le nord-est de la Libye à 150km au sud de Benghazi.

Ils ont été transférés à d’autres passeurs qui torturaient leur groupe de migrants régulièrement pour obtenir de nouveaux paiements de la part de leurs proches. Même arrivés en Europe, en Italie, les trafiquants tentent de garder la mainmise sur les migrants. Dalmar et Ahmed quittent le camp du gouvernement italien pour rejoindre une maison tenue par des magafe, des passeurs somaliens. Dans ce logement de Catane, ils sont tenus au secret pendant dix jours et ne seront libérés qu’après avoir payé quelques centaines de dollars. Au total, leur voyage vers l’Europe aura coûté près de 8 000 dollars.

Interview de deux mineurs éthiopiens racontent leur voyage d’Ethiopie jusqu’en Italie, Milan (VOA/Abdulaziz Osman)

Morro Saneh, 16 ans, Gambie

Du haut de ses 16 ans, Morro Saneh a vu beaucoup de choses durant sa traversée de l’Afrique. Parti dans la nuit du Nouvel an 2015, ce jeune Gambien a fui son pays par peur des persécutions politiques après un coup d’Etat manqué contre le président Yayah Jammeh. Il n’a pas dit à sa famille qu’il partait pour l’Europe.

Après sa fuite, il réussit à gagner Kaolack au Sénégal. Il raconte à VOA Afrique avoir payé 3.000 dollars pour se rendre jusqu’à Bamako. A court d’argent, il a commencé à vendre de l’eau dans les rues de la capitale malienne. Au bout d’un mois et d’après plusieurs petits boulots, Morro réussit à payer son voyage vers Niamey où il s’est improvisé maçon pour financer le trajet jusqu’à Agadez. En Libye, l’adolescent arrive dans la ville de Qatrun. De son passage à Tripoli, Morro Saneh se souvient d’avoir passé “un mois et trois jours en prison. La police a pris tout notre argent.”

Lui aussi a été secouru en Méditerranée. Morro décrit avoir beaucoup pleuré à la vue du bateau européen qui l’a secouru en Méditerranée. L’adolescent rêve de rejoindre la Suède mais met en garde tous les jeunes Africains qui sont tentés par l’aventure européenne.

“Si c’était à refaire, je ne le referais pas, il y a trop de risques”, déclare Morro Sanneh.

Interview de Morro Saneh de Gambie, Rome, Italie (VOA/Nicolas Pinault)

4e PARTIE: Les passeurs

4e PARTIE: Les passeurs Des passeurs sans pitié

Des passeurs ont brûlé la main de ce migrant pendant le voyage dangereux vers la Libye. (Photo obtenue par VOA/Nicolas Pinault)

Le long voyage des migrants vers l’Europe tourne rapidement au calvaire. Ces exilés volontaires ont recours à des réseaux et des trafiquants qui profitent de leur soif d’un avenir meilleur pour abuser d’eux et leur soutirer un maximum d’argent. Ce trafic génère des millions de dollars. Avec violence et cruauté. Qui sont ces esclavagistes des temps modernes ?

D’Asmara à Tripoli en passant par Khartoum ou Agadez, les passeurs sont partout sur le continent. Même de l’autre côté de la Méditerranée, ils ne sont jamais bien loin des migrants, qui croient avoir fait le plus dur en posant un pied sur le continent européen.

Les témoignages recueillis par VOA Afrique font état des mêmes abus systématiques : tortures, brûlures de cigarettes sur les mains, le visage ou le torse, êtres humains attachés comme des animaux et entassés dans des camions comme du bétail dans le Sahara. Parfois, les migrants sont enfermés en Libye jusqu’au paiement d’une rançon.

Un migrant érythréen parle de son dangereux voyage à travers le désert (VOA/Nicolas Pinault)

“Parfois, les passeurs ne nous donnaient pas de nourriture, ni de charbon pour faire du feu pour la cuisson. J’ai vu des gens utiliser leurs chaussures ou leurs manteaux pour faire du feu pour que nous ne mourrions pas de faim.”

– Hafsa, migrante somalienne rencontrée à Rome

Interview de Abdallah Arku, migrant soudanais, Milan, Italie (VOA/Nicolas Pinault)

Abdallah Arku est parti de Khartoum en payant 1.000 dollars pour se rendre en Libye. Ce Soudanais a traversé la frontière avec un groupe de 172 migrants, en majorité des Erythréens, à bord de sept camions conduits par des passeurs libyens. Selon son récit, ils étaient entassés par trente dans chaque véhicule, attachés à l’aide de cordes, “comme des animaux”. Sept migrants sont morts de soif dans le désert.

Durant ces semaines aux mains des geôliers en Libye, il a décrit avoir vu des passeurs soudanais, tchadiens ou nigérians. Des ressortissants érythréens confirment, eux, avoir vu des compatriotes parmi les trafiquants à Tripoli ou dans le Sahara. D’autres migrants rencontrés à Milan affirment avoir été détenus en Libye par des hommes en armes se réclamant du groupe État islamique.

Même en Italie, les passeurs poursuivent leurs opérations. Des Erythréens expliquent à VOA Afrique que des individus les ont convaincus de ne pas s’enregistrer auprès des autorités italiennes pour poursuivre leur voyage. Au contraire, moyennant paiement, ils se chargeraient de leur faire gagner la Suède ou l’Allemagne plus vite. De fausses informations destinées à leur soustraire encore un peu plus d’argent. D’autres migrants ont quitté le camp du gouvernement italien pour rejoindre une maison tenue par des magafe, des passeurs somaliens. Dans ce logement de Catane, ils sont tenus au secret pendant dix jours et ne seront libérés qu’après avoir payé quelques centaines de dollars. Au total, leur voyage vers l’Europe aura coûté près de 8 000 dollars.

Un mineur éthiopien de 16 ans retenu par des trafiquants, Milan, Italie (VOA/Abdulaziz Osman)

Les migrants qui en ont les moyens ont recours à différentes filières de passeurs qui changent selon le pays :  des compatriotes qui les guident à travers la Méditerranée-ou à la mafia albanaise qui rode autour de Calais pour sécuriser le passage vers l’Angleterre. Même les migrants sans un sou peuvent entreprendre le voyage et “travailler” plus tard pour rembourser leur dette. Giovanni Abbate, de l’Organisation internationale pour les migrations, explique depuis la Sicile, par exemple, le fonctionnement des trafiquants nigérians. “Les filles pensent venir travailler ici normalement et envoyer de l’argent à leurs familles restées au pays. En fait, elles sont victimes de trafic d’êtres humains. Elles sont conditionnées depuis le Nigeria à ne pas fuir et à obéir en Europe à leur proxénète. Il s’agit souvent d’une “madame” qui exploite ces futures prostituées sur les trottoirs de France, Italie, Allemagne ou Espagne“, décrit-il à VOA Afrique.

Interview de Giovanni Abbate de l’Organisation internationale pour les migrations (VOA/Nicolas Pinault)

5e PARTIE: Conclusion

5e PARTIE: Conclusion Une solution migratoire dans l'impasse

“La Jungle” près de Calais, un camp où vivent plusieurs milliers de personnes (VOA/Nicolas Pinault)

La crainte perpétuelle des Shebab a poussé Nimco Muse Ahmed, une Somalienne pauvre et mère de deux enfants, a traverser le plus grand désert du monde, une zone de guerre et une mer à l’aide d’un bateau de fortune.

C’est en arrivant à Vienne, aussi appelée “la Cité des rêves”,  qu’elle a tenté de se suicider en se jetant du haut d’un immeuble dans une ancienne caserne militaire.

“J’ai été dans le coma pendant un moment. Je me suis cassé les deux jambes et la colonne vertébrale”, dit-elle en décrivant sa convalescence après sa tentative de suicide en Autriche depuis le camp de Traiskirchen, une ancienne école militaire d’artillerie en dehors de Vienne.

Sa crainte s’est transformée en désespoir une chaude nuit d’automne après avoir appris que sa demande d’asile avait été rejetée. Ce soir-là, des réfugiés somaliens et syriens se sont battus pour une histoire de portable. Cette bagarre, c’est la dernière chose dont elle se souvient avant de sauter dans le vide.

“Les gens en Afrique, surtout en Somalie, je voudrais leur dire : “Il n’y a rien en Europe, donc ne rêvez pas!”

‘Je vois la réalité maintenant. La neige. Avant, je n’avais pas faim en Afrique mais maintenant oui.’

– Nimco Muse Ahmed, réfugié somalien, Autriche

Interview de Nimco Muse Ahmed, un migrant somalien (VOA/Abdulaziz Osman)

Ce désenchantement de Nimco Muse Ahmed fait écho aux difficultés que rencontrent tous les migrants subsahariens en Europe.  Contrairement aux Syriens, qui constituent la grande majorité des arrivées, les Africains subissent une forme de “discrimination” selon elle. Dans les centres pour migrants et les camps à travers le continent, ils sont traités comme des citoyens de seconde zone par leurs homologues arabes.

Destinations primaires des migrants africains en Europe

Carte basée sur les sources de la Commission européenne indique les destinations finales des migrants subsahariens qui arrivent sur ​​le sol européen à travers l'Italie.

Une politique mise en doute

Pour les réfugiés comme Ahmed, il n’y a pas de réponse simple. Alors que les 28 pays membres de l’Union européenne ne se sont toujours pas mis d’accord pour gérer ce flux de migrants sans précédent, les attentats de Paris ont changé la donne. L’Europe bienveillante s’est refermée sur elle-même. Malgré la promesse d’accorder l’asile à 160.000 réfugiés, au 12 décembre 2015, seuls 159 d’entre eux ont été relocalisés.

Une barrière de sécurité entourant le port de Calais près de “La Jungle” (VOA/Nicolas Pinault)

Une barrière de sécurité entourant le port de Calais près de “La Jungle” (VOA/Nicolas Pinault)

Aujourd’hui, l’espace Schengen et son idéal de libre-circulation des individus est plus que jamais menacé. Le rétablissement des contrôles aux frontières est déjà redevenu une réalité dans une dizaine de pays européens. Les barbelés ont aussi fait leur réapparition sur le Vieux continent pour décourager les migrants. Les enclaves de Ceuta et Melilla ont été les pionnières du “tout sécuritaire”. Sur place, les passages des migrants ont été réduits à néant, ou presque. Dans la même logique, aujourd’hui, les frontières européennes se parent de fil barbelé en Hongrie, en Slovénie ou en Croatie. Plus que jamais, le populisme voire la xénophobie ont le vent en poupe dans les pays européens.

‘Il y aura des millions de Noirs qui viendront par la Méditerranée pour se rendre en France et en Italie. La Libye joue un rôle dans la sécurité de la Méditerranée’

– Mouammar Kadhafi, France 24, mars 2011

“La Jungle” près de Calais (VOA/Nicolas Pinault)

“La Jungle” près de Calais (VOA/Nicolas Pinault)

Cette crise migratoire aussi permis à Bruxelles de clarifier sa politique migratoire : ouverte pour les réfugiés syriens, irakiens ou érythréens ; limitée pour les migrants économiques tels que sont considérés la plupart des migrants subsahariens.

La police patrouille près de “La Jungle”, Calais, France (VOA/Nicolas Pinault)

La police patrouille près de “La Jungle”, Calais, France (VOA/Nicolas Pinault)

Au sommet de La Valette en novembre 2015, l’UE a voulu donner un signal fort de son engagement à lutter contre les racines de l’exode de la jeunesse africaine vers le Vieux continent. Les dirigeants européens et africains ont mis en place un fonds d’urgence de 1,9 milliard de dollars pour aider les pays africains à rapatrier leurs ressortissants. Le petit Etat de Malte, qui accueillait la rencontre, a promis de verser 270.000 dollars.

Un mois plus tard, les dirigeants européens ont lancé une initiative de 2 milliards de dollars pour juguler l’immigration clandestine en Afrique en créant des emplois et des programmes de développement.

Des tentes pour migrants dans “La Jungle”, Calais, France (VOA/Nicolas Pinault)

Des tentes pour migrants dans “La Jungle”, Calais, France (VOA/Nicolas Pinault)

Les réponses européennes à cette crise migratoire sont lentes et multiples alors qu’en Méditerranée, les migrants, au péril de leurs vies, tentent tous les jours de rejoindre la Grèce ou l’Italie. Il y a urgence à agir même lorsque les migrants ne font pas la une des journaux. Quant à l’Afrique, elle ne doit pas se résoudre à laisser partir sa jeunesse, une jeunesse en quête de démocratie et d’opportunités économiques toujours inconsistantes sur le continent.

Peter Cobus a contribué à la rédaction depuis Washington, DC.

Crédits

Reportage en Europe d’Abdulaziz Osman et Nicolas Pinault.

Revu par Peter Cobus.

Création et développement de site par Stephen Mekosh et Dino Beslagic.

Gestion de projet par Steven Ferri.

Production de contenu par Teffera G. Teffera et Ezra Fessahaye.

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