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En Afrique de l’Ouest, le trafic de médicaments illicites a explosé

Faiblesse des marchés et des réglementations, insécurité et corruption : un rapport décrypte les routes de la contrebande de produits médicaux.

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Publié le 15 septembre 2023 à 18h00, modifié le 22 septembre 2023 à 12h55

Temps de Lecture 4 min.

Des gendarmes et des policiers ivoiriens, ainsi que des employés du ministère de la santé, vident une boutique de faux médicaments en mai 2017 au marché d’Adjamé, à Abidjan.

L’Afrique de l’Ouest est devenue un hub du trafic de produits médicaux illégaux sur le continent. Médicaments, vaccins, préservatifs, tests de dépistage et autres dispositifs d’injection illicites représentent désormais entre 20 % et 60 % du marché officiel de la zone sahélienne, comme le décrypte en détail le rapport intitulé « Le trafic illicite de produits médicaux en Afrique de l’Ouest » publié en août sous l’égide de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

En 2019, leur vente y atteignait déjà le milliard de dollars (quelque 935 millions d’euros), selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), une valeur supérieure à celles générées par les trafics de pétrole brut et de cocaïne.

Démêler l’écheveau

Deux chercheurs, le Sénégalais Mouhamadou Kane, basé à Dakar, et la Suissesse Flore Berger, de l’Initiative globale contre la criminalité transnationale organisée (GITOC), ont travaillé dans le cadre du projet Organized Crime West African Response to Trafficking (OCWAR-T).

Le rapport se concentre sur la Guinée, qui centralise la majorité des flux entrants par la mer ou les airs, et le Burkina Faso, où convergent les routes de trafic avant que les marchandises soient redistribuées dans la sous-région. « Cibler le point d’entrée maritime de Conakry et étudier le marché de la consommation et de transit du Burkina, qui n’a pas de littoral, nous a permis de mieux saisir les différences de fonctionnement des flux », explique Flore Berger. Précisant toutefois que ce focus ne suffit pas à embrasser toute la complexité et « l’ampleur des trafics ouest-africains, très sous-estimée ». De la production de masse à la revente au détail, aucun pays n’est épargné.

Pour démêler l’écheveau, les chercheurs ont mené des dizaines d’entretiens de terrain et organisé des groupes de réflexion avec des ONG, les autorités nationales, des organisations de la société civile, des experts des secteurs public et privé, des pharmaciens, des médecins et leurs syndicats ainsi que des groupes de consommateurs. Ils ont aussi fait parler les acteurs de ce marché illicite : fabricants, trafiquants et revendeurs.

Deux circuits se distinguent. Le premier, illégal de bout en bout, voit partir des cargaisons à partir d’usines clandestines installées sur le continent (Maroc, Sénégal, Nigeria, Ghana) ou en Asie (Inde et Chine) avant d’être écoulées par des vendeurs de rue ou sur les marchés de plein air. « Un réseau de trafiquants guinéens, illustre le rapport, peut demander à un producteur en Inde de reproduire du paracétamol à un dosage inférieur pour en réduire le coût. »

Le second, issu de la production légale, peut être dérouté à plusieurs moments de la chaîne. Un fabricant officiel peut être tenté de joindre à une commande des lots sous-dosés du même produit ou même inactifs, difficilement détectables aux passages de douanes. Les réseaux de distribution, légitimés par les autorités, ont aussi leur zone d’ombre. Les organismes publics et les grossistes privés homologués voient une partie de leurs stocks détournés par des agents corrompus, parfois avec la complicité de pharmaciens ou même de médecins vers des établissements de santé ou l’étranger.

Enfin, au stade de la vente, grossistes ou pharmaciens peuvent être tentés de se délester de marchandises dont les dates de péremption arrivent à terme ou sont dépassées en les cédant à des particuliers qui les revendront dans la rue. Mais l’inverse est aussi possible, révèlent les auteurs, quand pharmaciens et propriétaires de dépôt, « pour s’assurer de revenus plus importants », viennent se fournir auprès des grossistes illégaux qui exposent des stocks de médicaments dont les emballages semblent authentiques sur les marchés de plein air, comme à Sankariaré, l’un des plus grands de Ouagadougou.

Aucun type de médicament n’échappe à ces trafics qui génèrent d’énormes bénéfices avec des prix 30 % à 50 % moins chers : le marché illicite se partage à parts égales génériques et molécules brevetées. Enfin, la loi de l’offre et de la demande s’adapte aux pathologies qui circulent dans la sous-région : des antipaludiques aux antirétroviraux qui soignent le VIH, en passant par les antibiotiques, les vaccins, les anticancéreux et les anesthésiques.

Quelque 500 000 morts par an

Comment en est-on arrivé là ? « La mondialisation et la complexité des chaînes transfrontalières ont compliqué le contrôle de la qualité des produits et le suivi des contrefaçons, avancent les auteurs du rapport. En 2021, l’Institut de sécurité pharmaceutique (ISP) a enregistré une augmentation de la criminalité liée aux produits médicaux de 38 % par rapport à l’année précédente. » La crise du Covid-19 est passée par là, avec son lot de ruptures de stocks et de difficultés d’approvisionnement, poussant davantage à la consommation de produits illicites, eux disponibles. La trop grande quantité d’acteurs autorisés favorise les trafics et la corruption à toutes les étapes de la chaîne, jusqu’aux douanes, complique la répression.

Au-delà de ces conjectures, la faiblesse, voire l’absence de lois criminalisant ce type de délit est un véritable encouragement pour les trafiquants. En Guinée, ceux-ci encourent cinq à dix ans de prison contre dix à vingt ans pour le trafic de stupéfiants. Le Burkina Faso, lui, n’a aucun cadre législatif pour ces délits. Seul le recours au code de la santé ou au code pénal sanctionne la « conduite illégale » de pharmacien ou la contrefaçon de deux ans d’emprisonnement.

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L’instabilité politique au Mali, au Burkina, en Guinée et au Niger ainsi que l’expansion de l’insécurité et du djihadisme réduisent encore l’espace d’un marché formel déjà sous-dimensionné et viennent contrecarrer les efforts des Etats, de plus en plus sensibles à l’urgence d’agir. « Ils attendent beaucoup de la création de l’Agence africaine du médicament, conclut Flore Berger, et du Plan de fabrication de produits pharmaceutiques en Afrique », qui ne vise pas qu’à rendre le continent moins dépendant de l’Asie. Chaque année, rien qu’en Afrique de l’Ouest, un demi-million de personnes meurt à cause de médicaments illicites, évalue l’ONU. Il y a un an, la Gambie était endeuillée par la mort brutale de soixante-dix enfants qui avaient ingéré un sirop pour la toux fabriqué en Inde.

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