Il y a quelque chose de mystérieux dans la tribune signée en faveur de Gérard Depardieu par une cinquantaine de personnalités culturelles françaises. Comme si, pour ceux qui l’avaient connu et n’avaient pas voulu voir, il s’agissait de justifier leur propre aveuglement en le revendiquant. En réclamant la présomption d’innocence pour l’acteur, c’est au fond leur propre naïveté qu’ils et elles nous demandaient de pardonner.
Et, d’ailleurs, nous aurions envie d’être indulgents avec eux, de leur dire : mais, bien sûr, nous ne vous en voulons pas, vous n’avez rien vu de ses violences, de ses dérives, ou bien vous avez vu mais n’avez rien voulu ou pu faire, mais vous n’étiez pas les seuls. Simplement on aurait eu envie qu’ils et elles aient un mot pour les victimes, pour celles qui ont souffert, dont la chair a été meurtrie, dont l’esprit et la confiance ont été brisés.
On aurait aimé que ceux et celles qui ainsi réclamaient le droit d’un homme à la présomption d’innocence au nom de la justice aient aussi un mot pour dire que leur idée de la justice ne se satisfaisait pas non plus de la poursuite d’un système de domination des hommes puissants sur des femmes en position d’infériorité professionnelle. Que l’idée qu’en portant plainte contre un homme on portait atteinte à l’art lui-même était elle-même contradictoire avec l’égalité devant la justice qu’ils réclamaient justement en évoquant la présomption d’innocence pour l’acteur.
Impunité pour les puissants
Il est presque inévitable qu’une révolution aussi importante dans les mentalités que celle induite par #metoo charrie un mouvement d’effroi, de même que tous les mouvements historiques révolutionnaires ont provoqué une nostalgie d’un temps ancien, celui où l’ordre des choses, si bancal fût-il, n’était pas encore remis en question. Ce que les Allemands appellent « Heile Welt », et que l’on pourrait improprement traduire par « monde parfait » ou « âge d’or ». Car l’inconnu fait peur, inquiète. Le monde ancien est en train de mourir, le nouveau n’est pas encore né, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres, comme le dit Gramsci.
Dans toutes les affaires de violences sur des femmes, on a ainsi assisté à des offensives pour transformer en victimes les bourreaux, et ainsi délégitimer la parole des femmes et des victimes. Pourtant, c’est la première fois que l’extrême droite se tapit derrière ce genre d’offensive pour en faire un véritable combat politique.
Aujourd’hui, de nombreux signataires découvrent l’auteur réel de la pétition, un thuriféraire de Zemmour, et prennent leurs distances. Un peu tard sans doute. Mais au moins que leur naïveté nous permette d’analyser les raisons qui ont poussé l’extrême droite à faire de la défense de Depardieu son nouveau combat.
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