LETTRE DE GENÈVE
Ils sont désormais 221 à évoluer sur le territoire de la Confédération suisse. Officiellement accrédités comme diplomates de la Fédération de Russie. Pour un pays de la taille de la Suisse, le nombre est énorme, même si elle dispose de deux « capitales » de rang international. La première, Berne, est une agglomération de 300 000 habitants où sont situés le gouvernement (Conseil fédéral) et la totalité des grands ministères, mais pas toutes les administrations fédérales, car l’architecture institutionnelle du pays les décentralise souvent dans les cantons. La seconde, Genève, avec 700 000 habitants, abrite le siège européen de l’ONU et de nombreuses agences internationales. Aussi la diplomatie russe n’a-t-elle jamais négligé le rôle particulier du terrain de jeu helvétique.
Mais depuis le début de la guerre en Ukraine, il a notoirement gagné en importance, alors que la Suisse se signale en étant le seul pays occidental à n’avoir pas expulsé d’agents russes. Il y a tout juste un an, l’écrivain russe Mikhaïl Chichkine était le premier à tirer la sonnette d’alarme. Exilé en Suisse alémanique depuis 1995 et virulent critique du poutinisme, il expliquait que « Moscou repositionne en Suisse ses espions virés par d’autres pays européens ».
Il aura fallu douze mois de plus à Christian Dussey pour parvenir au même constat. Le nouveau chef du Service de renseignement de la Confédération (SRC) a reconnu, le 26 juin, que la Suisse était l’un des pays actuellement « les plus visés » par l’espionnage russe. Sur les 221 individus postés en Suisse, « au moins un tiers travaillent pour les différents services de renseignement russes », a reconnu le patron du contre-espionnage helvétique, qui n’emploie que 450 personnes pour faire face à ces nouvelles menaces. Car, outre l’activisme russe, la présence croissante d’agents chinois est aussi attestée dans le dernier rapport du SRC. Ces derniers évoluent sous couverture d’homme d’affaires ou encore de scientifiques, très intéressés par les recherches des instituts polytechniques de Zurich et Lausanne.
Un « camp de base » en Haute-Savoie et de vrais tueurs
Mais c’est surtout à Genève que le nouvel activisme des agents russes est le plus sensible. C’est là que se retrouvent des milliers de diplomates du monde entier aux réunions annuelles des instances onusiennes multilatérales, comme le Conseil des droits de l’homme, l’Assemblée mondiale de la santé ou encore la Conférence internationale du travail. Autant d’occasions pour les agents de renseignement sous couverture diplomatique de se fondre dans la masse et de prendre des contacts dans une ville où de nombreux financiers, responsables économiques et politiques peuvent frayer ensemble. Les délégations africaines et moyen-orientales ont elles aussi leurs habitudes depuis longtemps dans la cité de Calvin.
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