« Le Front caucasien. Enjeu d’empires et de nations. 1914-1922 », sous la direction de Cloé Drieu, Claire Mouradian et Alexandre Toumarkine, CNRS Editions, 570 p., 28 €, numérique 20 €.
C’est l’une des autres faces du grand carnage de la première guerre mondiale. Mais, là, le conflit ne s’est pas arrêté, comme dans l’ouest de l’Europe, par l’armistice du 11 novembre 1918 dans la clairière de Rethondes, se poursuivant des années encore en Russie, avec la guerre civile, dans les pays Baltes, dans les Balkans comme dans le Caucase. C’est à ce dernier que s’intéresse le livre collectif Le Front caucasien, qui a l’immense mérite de mettre au jour cette histoire méconnue.
Les montagnes et plateaux du Caucase, où s’affrontèrent pendant près d’une décennie d’abord les armées du tsar et celles du sultan ottoman puis des bandes et des embryons des nations surgis de l’effondrement des empires, ont en effet été volontiers considérés comme un front périphérique. Il fut pourtant un laboratoire géostratégique où se forgea une partie de notre modernité, y compris dans ce qu’elle a de pire. Le découpage des frontières et le redéploiement des peuples effectués à l’époque nourrissent encore un siècle plus tard les conflits en lisière de l’espace ex-soviétique.
« C’est là, relèvent Cloé Drieu, Claire Mouradian et Alexandre Toumarkine, les trois maîtres d’œuvre de cette somme, que se joua en grande partie le sort de deux empires continentaux, russe et ottoman, qui ne survivront pas au conflit, alors que sur leurs cendres naissent en Anatolie comme au Caucase les Etats-nations que l’on connaît aujourd’hui ; c’est là aussi que se nouèrent certaines des grandes tragédies et violences de masses du XXe siècle, dont le génocide des Arméniens (…) et des déplacements forcés, massifs et sans précédent de populations. »
Un immense chaos
Au fil de ces quelque 600 pages se mêlent l’histoire de batailles oubliées, dont la terrible défaite des troupes ottomanes à Sarikamich, en janvier 1915, et le récit des massacres croisés de populations civiles, tels les Assyro-Chaldéens et les Grecs pontiques. On peut y lire nombre de documents diplomatiques mais aussi des témoignages, dont le journal d’un cosaque du Turkestan, jusqu’ici inédit, qui permet de saisir le quotidien de l’armée tsariste en campagne. Raconter la guerre et l’immédiat après-guerre dans cette zone comprise entre les mers Noire et Caspienne, dans les montagnes du Caucase du nord et dans la riche Transcaucasie, c’est d’abord évoquer un immense chaos. L’Empire russe s’effondre et Arméniens, Géorgiens, Azéris s’affrontent dans des combats sanglants. Tous seront ensuite rapidement mis au pas par les bolcheviques.
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