Le rituel est tellement régulier que plus personne n’y prête vraiment attention. Le 11 avril, des hommes et des femmes ont une nouvelle fois déchargé et empilé de lourds cartons devant les portes de la chancellerie fédérale à Berne, en compagnie du patriarche du national-populisme helvétique Christoph Blocher. Goguenards, ils présentaient le succès de leur « initiative populaire », pierre angulaire de la démocratie directe helvétique. Dans les cartons, 132 780 signatures manuscrites de citoyens (100 000 sont requises), ce qui déclenchera une « votation populaire » dans quelques années, le temps que la machine administrative et politique traite le dossier et l’inscrive à l’agenda des consultations.
La Suisse vote quatre fois par an sur trois ou quatre sujets variés, politiques et sociaux, plus ou moins urgents, plus ou moins importants. Les esprits chagrins n’ont pas oublié la votation de novembre 2018 sur la pertinence de l’ablation des cornes des vaches… Mais l’affaire du jour est conséquente. L’enjeu du vote à venir : le pays doit-il devenir encore plus neutre qu’il ne l’est actuellement ? Les promoteurs de l’initiative militent pour une « neutralité armée et perpétuelle, en permanence et sans exception ». Mais n’est-ce pas déjà le cas aujourd’hui ?
« En adoptant les sanctions de l’Union européenne (UE) contre la Russie, nous nous sommes barré la route. Aux yeux des Russes, nous ne sommes plus neutres », a souligné Walter Wobmann, ancien député de l’Union démocratique du centre (UDC, extrême droite), premier parti en Suisse mais minoré dans le gouvernement de coalition. Selon le mouvement ultra-souverainiste Pro Suisse, à l’origine du texte, les multiples pressions subies par Berne de la part de ses principaux partenaires occidentaux (Washington et Paris, Berlin et Bruxelles pour l’Union européenne) dès le début de la guerre en Ukraine ont mené au « sacrifice irréfléchi d’une neutralité crédible ».
Une position intenable
Le 24 février 2022, la totalité des pays occidentaux, membres de l’OTAN ou pas, a entonné la même partition contre l’agression russe. La diplomatie suisse a tenté de rester équidistante des Russes et des Ukrainiens. Mais la position était si intenable qu’elle n’a pas duré plus de dix jours, au terme desquels Berne n’a plus osé évoquer des « parties au conflit », mais bel et bien un agresseur et un agressé. Paradoxe, la Suisse est toujours soupçonnée de traîner les pieds dans l’application des sanctions contre le Kremlin et ses affidés, par exemple en cherchant et en gelant mollement les avoirs des oligarques russes (7 milliards bloqués sur 150 milliards de francs suisses) ; tout en étant classée par Moscou au rayon des « pays hostiles ».
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