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Tourists visit Paris aboard an open excursion boat (Bateaux mouches) on the Seine river, with the Pont Neuf seen in the background, in Paris on August 21, 2023. (Photo by Miguel MEDINA / AFP)
MIGUEL MEDINA/AFP

Paris 2024 relance le rêve d’un « métro fluvial » sur la Seine

Par , , et
Publié le 15 mai 2024 à 07h00

Temps de Lecture 5 min.

Assise sur un banc, tentant vainement de s’abriter du vent piquant qui balaie le pont de La Guêpe-buissonnière, Florence donne volontiers son prénom. Le printemps pluvieux n’a pas dissuadé cette habitante de La Frette-sur-Seine (Val-d’Oise) de participer à une « croisière olympique », vendue 12 euros par Seine-Saint-Denis Tourisme, l’agence de développement touristique du département. « Cette balade m’a permis de découvrir le canal Saint-Denis et le Stade de France », raconte-t-elle, ravie, alors que la péniche longe le centre aquatique olympique, dont on aperçoit le toit ondulé, inauguré début avril.

Malgré les giboulées de ce samedi matin de mars, les cent dix places du bateau sont occupées. L’après-midi, un autre parcours contourne, par la Seine, la commune insulaire de L’Ile-Saint-Denis, qui accueille une partie des sites des Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Devant la Grande Nef Lucien-Belloni, un bâtiment en forme de selle d’équitation qui servira de site d’entraînement pour plusieurs disciplines, et les immeubles pastel du village des athlètes, les passagers se pressent sur le pont et dégainent leur téléphone pour tout photographier.

Les voyages sur l’eau font recette. Sur la Seine, pas moins de cinquante-huit entreprises de bateaux promenade, donc la célèbre Compagnie des Bateaux-Mouches, ont transporté près de 10 millions de passagers en 2023. Des péniches-hôtels, des paquebots fluviaux et des barges chargées de marchandises complètent l’armada qui défile tous les jours sous les ponts de Paris.

Une tendance qui pourrait être renforcée par les Jeux. Le 26 juillet, près de deux cents embarcations doivent emprunter le fleuve pour la cérémonie d’ouverture. Dans les jours qui suivront, des épreuves s’y dérouleront. « Cela donnera aux gens l’envie de faire une balade sur la Seine », espère Stéphane Raison, président du directoire d’Haropa Port, l’établissement public qui réunit les ports du Havre, de Rouen et de Paris.

Expérience avortée de Voguéo

Mais, au-delà des circuits touristiques, des liaisons en bateau pourraient-elles être intégrées au ticket de transport public ? Après tout, les différents ports des rades de Lorient (Morbihan) et de Toulon ont droit à une desserte maritime, tandis qu’à Nantes trois navettes régulières relient les rives de la Loire et de l’Erdre, son affluent. A La Rochelle, deux lignes traversent le port, équipées de bateaux électriques.

En Ile-de-France, les amoureux de la navigation fluviale ont la nostalgie de Voguéo, une expérimentation qui, de 2008 à 2011, proposait une liaison de trente-cinq minutes entre Paris (gare d’Austerlitz) et Maisons-Alfort (Val-de-Marne). Le service devait être étendu vers l’ouest en 2013, mais le Syndicat des transports d’Ile-de-France (ancêtre d’Ile-de-France Mobilités, IDFM), autorité régionale chargée des transports, y avait renoncé, pour des raisons de coût. Paris se contente aujourd’hui des Batobus, qui, pour 23 euros la journée, relient des embarcadères situés au pied des principaux monuments. Malgré la réduction de 5 euros accordée aux détenteurs d’un passe Navigo, le concept séduit essentiellement les touristes.

Car la géographie dicte sa loi. Compte tenu du temps de passage d’une écluse, une dizaine de minutes, le transport régulier de voyageurs n’a de sens qu’au sein du même bief, comme celui de Paris, long d’une trentaine de kilomètres, entre les barrages du port à l’Anglais, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), et de Suresnes (Hauts-de-Seine). Par ailleurs, afin de limiter l’impact du batillage – les petites vagues provoquées par la marche d’un bateau qui dégradent, à force, les berges –, la vitesse des embarcations est limitée à 12 km/h dans la capitale, 18 km/h en banlieue, et seulement 6 km/h sur les canaux de l’Ourcq et de Saint-Denis, propriétés de la Ville de Paris.

On peut ajouter que la navigation est ralentie en cas de crue et que les arrêts doivent être facilement accessibles, de préférence proches d’un pont, pour desservir l’autre côté du fleuve. Une ligne qui s’arrête à l’aller sur une rive et au retour sur l’autre, comme c’est le cas de Batobus, manque de lisibilité. Pour toutes ces raisons, les parcours fluviaux ne sont pas toujours plus rapides qu’en bus, métro ou RER. A titre d’exemple, la navette réclamée au nord de la capitale par le maire socialiste de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Karim Bouamrane, entre sa ville et le quartier d’affaires de la Défense, en amont de la Seine, « ne semble pas rentable économiquement », tranche IDFM, qui avance un obstacle technique : « Il est matériellement difficile de créer un embarcadère proche d’une station de métro. »

« Le trafic pourrait être multiplié par six »

Rivercat, une société coopérative réunissant « des experts de la navigation fluviale et maritime », espérait lancer, avant les JOP, plusieurs lignes de transport régulier sur la Seine et sur la Marne. La principale desserte aurait relié Maisons-Alfort à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) via Paris, « une heure et quart tout confort, contre une heure en RER avec un ou deux changements », plaide toujours Dany Carvalho, le président-directeur général de Rivercat. « Les navettes pourraient transporter cent passagers et quarante vélos », précise-t-il.

Mais cette ambition bute sur l’absence d’accord avec Haropa Port au sujet de l’utilisation des embarcadères. Rivercat souhaite que l’établissement public lui donne l’autorisation d’accoster. « Ce n’est pas aux répondants de fixer les conditions d’un appel à projets », tranche Stéphane Raison. Les relations entre Haropa Port et Rivercat se sont même envenimées depuis que le différend a été porté devant le tribunal administratif. Les deux entités tombent pourtant d’accord sur un point. Pour Dany Carvalho, « il y a de la place pour de nouveaux opérateurs ». Et Stéphane Raison d’acquiescer : « Le trafic pourrait être multiplié par six. »

En dépit de ce constat, le projet de navigation régulière le plus avancé ne concerne pas la Seine, mais le canal de l’Ourcq. Dans le cadre de la mise en concurrence des bus franciliens, un processus qui doit débuter après les JOP, l’un des lots définis par IDFM comprend « une liaison entre Paris et Bondy (Seine-Saint-Denis) », au nord-est de la capitale. Ce service fluvial, à mettre en place par le transporteur qui aura remporté l’appel d’offres, dépend toutefois de l’augmentation de la vitesse maximale, qui serait portée à 10 km/h. « On attend les réponses de la Ville de Paris et de Voies navigables de France », indique-t-on à IDFM.

En attendant, la Seine achemine des marchandises, pour livrer Paris et sa banlieue, mais aussi pour traverser la région de part en part, comme l’ont rappelé, en janvier, les céréaliers de Seine-et-Marne, inquiets de ne pouvoir exporter leur production via le port du Havre. La période des moissons, fin juillet, coïncide cette année avec la sécurisation de la cérémonie d’ouverture, une semaine au cours de laquelle le passage du moindre bateau est strictement interdit. Après que quelqu’un, dans un bureau, a demandé ingénument si on pouvait décaler les moissons, un accord a finalement été trouvé, assure Stéphane Raison. Une centaine de milliers de tonnes de blé seront stockées en attendant que le passage soit de nouveau libre.

Mais le fleuve n’a-t-il qu’une vocation utilitaire ? « Il n’existe pas de récit sur la Seine, autre que celui fondé sur son attractivité, son exploitation industrielle et commerciale », regrette Vianney Delourme, président et cofondateur d’Enlarge your Paris, média en ligne et agence événementielle qui ambitionne d’« explorer le Grand Paris ». Or, au-delà des déplacements qui ont lieu sur l’eau, le fleuve constitue un lien entre les territoires traversés, offrant, « dans toute la région, mille paysages, et autant d’incitations à le longer à pied ou à vélo, ce qui est possible presque partout », détaille M. Delourme. Le bruit médiatique des plongeons dans la Seine promis par le président de la République, Emmanuel Macron, et par la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, n’est rien, selon lui, à côté de « l’enjeu principal, qui consiste à nettoyer le fleuve et à préserver son écosystème ».

« Faire de la Seine un lieu de balade populaire », c’est aussi l’ambition d’Eric Sapin, responsable de l’association Alternat, qui organise des croisières pédagogiques destinées aux écoliers des quartiers défavorisés ou, de temps à autre, des traversées de l’Ile-de-France, de Juvisy-sur-Orge (Essonne), en amont de la capitale, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), en aval, en douze heures et cinq écluses. En mai 2023, lors de l’une des dernières éditions de ce périple, la péniche affichait complet.

« Un quart d’heure en ville » est un projet du « Monde Cities », réalisé avec le soutien de Toyota. Rédaction en chef : Emmanuel Davidenkoff. Articles : Olivier Razemon. Infographie : Le Monde. Podcast : Jules Benveniste. Suivi éditorial des podcasts : Joséfa Lopez. Coordination articles : Isabelle Hennebelle. Edition : Guillemette Echalier. Identité graphique du podcast : Marianne Pasquier, Thomas Steffen, Léa Girardot. Iconographie : Sandra Grangeray. Partenariat : Sonia Jouneau, Morgane Pannetier.
Retrouvez tous les épisodes de la série ici.

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