Pourquoi la loi autorisant les mutilations génitales féminines fait débat en Gambie

Une femme pratiquant l'excision montre la lame de rasoir qu'elle utilise sur les parties génitales des filles.

Crédit photo, Getty Images

  • Author, Awal ADJO Adéchola
  • Role, BBC Afrique

En Gambie les députés ont, dans une écrasante majorité le 18 mars 2024, voté en faveur du projet de loi visant à lever l’interdiction des mutilations génitales féminines (MGF) en vigueur dans le pays depuis 2015. Ils ont ensuite renvoyé ce texte devant une commission parlementaire qui doit effectuer un dernier examen avant un vote final dans environ trois mois. Les militants et défenseurs des droits de l’Homme dénoncent un “dangereux précédent” pour les droits des femmes en Gambie, pays à majorité musulmane et appellent à une mobilisation générale aussi bien à Banjul qu’à l’étranger.

Quatre députés gambiens ont voté contre ce texte abrogeant l’interdiction des MGF. Le parlement compte 58 députés au total et quarante-deux parmi ceux qui étaient présents ont voté en faveur de ce texte qui vise donc à supprimer les protections juridiques dont bénéficient des millions de jeunes filles dans le pays.

A lire aussi sur BBC Afrique :

“Le projet de loi vise à préserver les principes religieux et à sauvegarder les normes et les valeurs culturelles”, a déclaré le député Almameh Gibba lors de la présentation du texte devant ses collègues. Il ajoute que l’interdiction de l’excision est une violation directe du droit des citoyens à pratiquer leur culture et leur religion.

En marge des discussions entre parlemenaires, plusieurs militants pro-MGF se sont fortement mobilisés dans la capitale pour apporter leur soutien à ce texte. Ce genre de rassemblement n’est pas une première en Gambie où “une personne qui est le parent d’un enfant mineur et qui s’oppose à ce que celui-ci subisse une MGF peut faire face à de discrimination sociétale et à de l’ostracisme parce qu’il va à l’encontre des traditions culturelles ou familiales”, écrit le Home Office du Royaume-Uni dans sa note d’information sur la Gambie en décembre 2016.

Si le projet de loi franchit les dernières étapes, la Gambie deviendra le premier pays au monde à supprimer les protections contre les mutilations génitales féminines.

Des militants pro-MGF en Gambie

Crédit photo, Getty Images

“Les MGF doivent prendre fin avec notre génération”

Les mutilations génitales féminines sont internationalement considérées comme une violation des droits des jeunes filles et des femmes. Elles sont le reflet d’une inégalité profondément enracinée entre les sexes et constituent une forme de discrimination à l’égard des femmes, indiquent les Nations unies.

Soixante-seize pour cent des gambiennes âgées de 15 à 49 ans ont subi des MGF, selon un rapport de l’Unicef publié en 2021.

L’OMS souligne que les mutilations génitales féminines ne présentent aucun avantage pour la santé et sont préjudiciables à bien des égards aux jeunes filles et aux femmes. Les complications immédiates varient entre la rétention d’urine, l’ulcération génitale, l’hémorragie, le tétanos ou septicémie et une femme victime des MGF peut, à long terme, avoir des problèmes urinaires et vaginaux, des problèmes liés aux tissus cicatriciels et chéloïdes. Elle court également un risque accru de complications lors de l’accouchement et est souvent contrainte de subir ultérieurement de nouvelles opérations chirurgicales.

Mais d’influents religieux musulmans dans le pays continuent de faire pression pour la levée de l’interdiction. A l’opposé, les militants des droits des femmes battent campagne pour son maintien.

Des militants anti-MGF lors d'une manifestation

Crédit photo, Getty Images

“Les autorités ne doivent pas se concentrer sur l’obligation religieuse et ignorer le mal et la douleur liés aux MGF”, soutient Jaha Dukureh, fondatrice de Safe Hands for Girls, affirmant que les MGF en Gambie doivent prendre fin avec notre génération.

La directrice de l’Association des avocates de Gambie, Anna Njie, indique pour sa part que l’abrogation de l’interdiction serait un pas en arrière. Nous n’avons pas le pouvoir de dire à l’Assemblée nationale ce qu’il doit faire mais nous avons des droits réservés dans la Constitution pour intenter des poursuites loreque certains des droits fondamentaux sont violés, dit-elle.

“Nous refusons d’être réduites au silence. Nous refusons de rester les bras croisés pendant que les corps de nos filles sont mutilés, leurs futurs violés et leurs rêves brisés”, déclare Jaha Dukureh survivante, elle aussi, des MGF en Gambie.

Divya Srinivasan de l’ONG de défense des droits des femmes Equality Now a pour sa part indiqué qu’il y a un risque inhérent que ce ne soit que la première étape et que cela conduise au recil d’autres droits tels que la loi sur le mariage des enfants.

“Rejoignez-nous alors que nous faisons entendre nos voix, protégeons nos filles alors que nous disons non à l’approgation de l’interdiction des MGF en Gambie”, écrit la fondatrice de Safe Hands for Girls dans une péitition.

Le bureau des droits de l’Homme de l’ONU en Gambie a également demandé le retrait du projet de loi, affiramant sur X avant le débat de lundi au parlement que "Le corps des filles leur appartient et que les mutilations génitales féminines les privent de l'autonomie de leur corps et leur causent des dommages irréversibles",

“Si ce texte est validé par les députés gambiens, cela signifierait aux jeunes filles que les droits peuvent être supprimés”, a déclaré à la BBC Michèle Eken, chercheuse principale au bureau d’Amnesty International en Afrique de l’Ouest et du Centre, demanant aux militants des droits de l’Homme de rester ferme et faire bloc contre ce projet qui met en péril plusieurs années de combats. “Les autorités gambiennes doivent être sensibles au cri de coeur des femmes et jeunes filles gambiennent qui ont subi les mutilations génitales féminines et qui en portent les cicatrices physiques et mentales”, affirme Michèle Eken.

Une exciseuse brandit sa lame

Crédit photo, Getty Images

Le parlement gambien amorce un retour dans un passé triste et douloureux

La Gambie a ratifié le protocole de Maputo sur les droits des femmes et des filles depuis 2005. En 2015, soit dix ans après, le pays a adopté le texte de loi sur l’interdiction des MGF sous la présidence de Yaya Jammeh estimant qu’elles ns étaient dépassées et ne constituaient pas une exigence de l’islam. L’ex-dictateur a quitté le pouvoir depuis 2016 et les observateurs gambiens lui reconnaissent le mérite d’avoir fait passer un texte qui proscrit les MGF sous peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et de fortes amendes.

Mais depuis son adoption, seuls deux cas ont fait l’objet de poursuites et la première condamnation pour avoir pratiqué des mutilations n’a été prononcée qu’en août 2023.

“Au lieu d’aller de l’avant, c’est une déception de constater qu’après le long combat mené par les militants et militantes de la Gambie pour faire progresser les droits des femmes, le parlement s’apprête à envisager un tel retour en arrière”, regrette Amnesty International. Le texte initié par les députés gambiens va effacer toutes les années de progrès en Gambie et risque de nuire au bilan du pays en matière des droits de l’homme ajoute l’ONG.

“Le gouvernement gambien doit s’attaquer aux causes profondes des mutilations génitales féminines et aux facteurs les favorisant, et mettre en oeuvre des politiques globales qui donneront aux femmes et aux filles le pouvoir de revendiquer et d’exercer leurs droits fondamentaux”, préconise Michèle Eken.

Les Nations unies estiment à plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes, toujours en vie, le nombre de victimes de mutilations sexuelles provoquées dans 30 pays africains, du Moyen Orient et de l’Asie. La pratique recouvre toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non médicales selon l’organisation mondiale de la santé.

Le coût du traitement des complications découlant des mutilations génitales dans 27 pays à forte prévalence s’élève à 1,4 milliard US dollar par an.