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La crise du Covid-19 frappe la presse africaine de plein fouet

Les médias africains n'échappent pas au marasme économique mondial post-nouveau coronavirus. En Afrique, à la baisse des moyens financiers d'informer, s'ajoute une hausse des atteintes à la liberté d'informer. Revue.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 4 min
Le ministre nigĂ©rian de la SantĂ© Osagie Ehanire montre la photo du nouveau coronavirus parue dans un magazine le 28 fĂ©vrier 2020, alors qu'un premier cas Ă©tait confirmĂ© au Nigeria. (KOLA SULAIMON / AFP)

Avec des revenus qui s'effondrent et des coĂ»ts qui augmentent, l'industrie des mĂ©dias sur le continent africain, dĂ©jĂ  extrĂȘmement prĂ©caire, subit durement la crise Ă©conomique qui elle-mĂȘme dĂ©coule de la pandĂ©mie de nouveau coronavirus venue de Chine. Non seulement la propagation du virus a fait chuter les revenus, mais elle a Ă©galement posĂ© des dĂ©fis logistiques sans prĂ©cĂ©dent Ă  la profession.

Si les chiffres officiels font état d'un peu plus de 5 000 décÚs sur le continent, sur un total de plus de 400 000 dans le monde, les gouvernements ont néanmoins imposé des mesures préventives strictes. Le confinement a compliqué les reportages et contraint les journalistes à faire du télétravail dans des conditions difficiles, à cause des coupures récurrentes d'électricité ou de services internet défaillants.

Au Nigeria

The Punch et Vanguard, deux des plus grands quotidiens du pays (207,5 millions d'habitants), ont annoncé fin mai 2020 des coupes budgétaires drastiques qui passent entre autres par des dizaines de licenciements au sein de leurs rédactions, en conséquence de la crise sanitaire. "Ce qui se passe au Nigeria ne nous est pas spécifique. Le monde entier en ressent les effets", explique Qasim Akinreti, le président de l'Union des journalistes de Lagos. "Nous avons perdu des centaines d'emplois au cours des quatre derniers mois", principalement en raison de la chute des revenus publicitaires.

Les responsables du principal syndicat des journalistes nigĂ©rians ont exhortĂ© le prĂ©sident Muhammadu Buhari Ă  mettre en place une aide d'urgence aux mĂ©dias en dĂ©tresse. Mais beaucoup craignent que cette situation de dĂ©pendance ne fasse qu'accroĂźtre l'ingĂ©rence politique au sein du quatriĂšme pouvoir, dĂ©jĂ  souvent infiltrĂ© par de puissants intĂ©rĂȘts en Afrique.

"Le gouvernement nigérian harcÚle les médias. De nombreux journalistes sont (réguliÚrement, NDLR) poursuivis pour des délits pas sérieux", affirme Olubunmi Ajibade, professeur à l'Université de Lagos. "Recueillir des fonds de sauvetage auprÚs du gouvernement en ce moment compromettra leur indépendance et leur liberté", estime-t-il.

Au Kenya

Dans ce pays d'Afrique de l'Est de plus de 53 millions d'habitants, certains mĂ©dias ont rĂ©duit les salaires de moitiĂ©. En mĂȘme temps, face Ă  la rapiditĂ© et la gravitĂ© de la crise, les appels Ă  l'aide des professionnels de l'information au gouvernement se sont multipliĂ©s. En rĂ©ponse, le Kenya a dĂ©voilĂ© le 6 juin la crĂ©ation d'un fonds spĂ©cial d'environ 900 000 euros qualifiĂ© d'"historique" pour aider quelque 150 diffuseurs Ă  traverser la tempĂȘte. Pour David Omwoyo, le patron de l'autoritĂ© de rĂ©gulation du Kenya, le Covid-19 "met sous forte pression les stations de tĂ©lĂ©vision et de radio".

A Madagascar

Sur la Grande Ile, la presse écrite et audiovisuelle est soumise aux diktats de l'information officielle. Le gouvernement d'Andry Rajoelina qui, dÚs le déclenchement de la crise du coronavirus, a obligé les médias à diffuser les annonces des autorités sur la pandémie, vient de pousser l'ingérence encore plus loin.

"Le régime profite de cette réquisition pour diffuser des messages de propagande", assure à l'AFP Nadia Raolimanalina, chef de service des informations de la télévision MBS et directrice de publication des journaux Le Quotidien et N'y Vaovaontsika. "L'Etat a tout verrouillé (...). On nous a informés que plusieurs médecins sont atteints du coronavirus à l'hÎpital Morafeno de Toamasina (est), mais personne ne peut en parler car il y a la peur d'aller en prison pour diffusion de fausses informations", explique-t-elle.

Ailleurs en Afrique

A cause des suites de la crise sanitaire, en Ouganda, une imprimerie majeure d'hebdomadaires a cessĂ© ses activitĂ©s. En Namibie, les horaires ont Ă©tĂ© rĂ©duits et les plans de licenciement se sont accĂ©lĂ©rĂ©s. Au Cameroun, des journaux privĂ©s ont mĂȘme organisĂ© une journĂ©e "presse morte" pour dĂ©noncer l'absence de rĂ©action des pouvoirs publics. Ajoutons que dans ce pays, la libertĂ© de la presse, dĂ©jĂ  fragile, vient d'ĂȘtre mise Ă  mal de maniĂšre spectaculaire avec la mort en prison d'un jeune reporteur, accusĂ© d'"intelligence avec les terroristes".

Un peu partout sur le continent, plusieurs incidents impliquant des forces de sĂ©curité empĂȘchant les journalistes de faire leur travail ont Ă©tĂ© recensĂ©s. Comme au Ghana, souvent citĂ© comme un modĂšle de dĂ©mocratie en Afrique de l'Ouest, oĂč les soldats dĂ©ployĂ©s dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 ont "agressĂ©" deux journalistes en avril, selon le ComitĂ© pour la protection des journalistes, ONG établie aux Etats-Unis.

Enfin, un certain nombre de pays, dont l'Afrique du Sud, ont introduit de nouvelles législations criminalisant la diffusion de fausses informations sur la pandémie. Des lois qui, tout en luttant contre les fake news, donnent aux autorités plus de latitude pour mater la presse.

Selon Lekhetho Ntsukunyane, responsable du Lesotho Ă  l'Institut des mĂ©dias d'Afrique australe, deux reporteurs du petit royaume ont d'ailleurs Ă©tĂ© rappelĂ©s Ă  l'ordre aprĂšs l'adoption d'une nouvelle rĂ©glementation – aprĂšs quoi le sĂ©rieux de leur travail a fini par ĂȘtre reconnu. Le mĂ©tier d'informer, plus souvent qu'on ne le pense, relĂšve aussi du parcours du combattant.

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