L’annonce du guide Michelin, le 18 mars, lors de la grand-messe délivrée cette année dans le palais des congrès de Tours, en avait estomaqué plus d’un. Malgré quelques fuites, la consécration de Fabien Ferré, trois étoiles à 35 ans seulement, paraissait improbable. La Table du Castellet, qu’il dirige depuis un an, nichée dans la gigantesque bâtisse terracotta d’un hôtel de luxe sur les vertes collines varoises du Castellet, décrochait pourtant le Graal.
Le jeune chef travaillait là -bas depuis dix ans, en réalité, mais dans l’ombre d’un grand : Christophe Bacquié, triplement étoilé lui aussi. Quand ce dernier est parti, fin 2022, en lui remettant les clés des fourneaux, les compteurs ont brutalement été remis à zéro : plus de nom connu pour attirer les clients, plus de macaron pour les rassurer, et une carte à repenser totalement. Fabien Ferré, ancien demi d’ouverture dans une équipe de rugby amateur, a foncé. En cette journée de la mi-avril, nous le retrouvons dans son établissement pour comprendre son ascension fulgurante, le secret de sa cuisine et les implications de ces trois étoiles aussi galvanisantes que contraignantes.
Quelle a été votre réaction à l’annonce de votre distinction ?
La surprise, l’euphorie… Comme je n’avais pas été appelé lors de la remise des une et deux étoiles, je pensais qu’on n’aurait rien. Quand j’ai entendu qu’on avait trois étoiles, je suis tombé dans les bras de Christophe Bacquié, qui était placé dans la rangée devant moi, puis de mon équipe et de ma compagne. On a hérité d’une belle maison, de ses talents, on n’a pas changé de fournisseurs, mais je n’avais jamais dit à mes gars qu’on travaillait pour avoir les trois étoiles !
Sur la scène du Michelin, vous avez appelé Christophe Bacquié. Pourquoi ?
Il n’y avait rien de planifié. C’était une manière de témoigner ma gratitude. Beaucoup de chefs et leurs poulains ont une relation père-fils, mais, pour nous, cela va au-delà , c’est une sorte d’osmose. Je pense avoir passé, ces dernières années, plus de temps avec Christophe qu’avec ma compagne. Il m’a suivi pour deux finales du concours de Meilleur Ouvrier de France, on a passé des jours de congés ensemble, on a joué au tennis… Et, encore aujourd’hui, on s’appelle presque quotidiennement.
C’est aussi difficile, parfois, de grandir à l’ombre d’un père…
Oui, mais c’est nécessaire. Je pense à un plat que nous réalisions quand il était là  : un chou-fleur que j’ai plongé dans l’univers méditerranéen en le badigeonnant d’un jus de carcasse de homard qui lui donne une couleur rouge après cuisson. C’est moi qui l’ai créé, mais ça ne me dérange pas qu’on le lui attribue, parce que c’était tout de même lui qui donnait la direction, qui goûtait, qui disait comment en parler en salle. Je ne brillais peut-être pas quand j’étais son second, mais j’étais accompagné, je grandissais.
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