L’hiver semble de courte durée à Paris. Fin janvier, il faut mettre cap au nord pour retrouver un peu du froid piquant qui sévissait au début de l’année. Les jours rallongent et semblent s’adoucir. Dans ce coin du 18e arrondissement, autrefois populaire avec ses immeubles en brique rouge réservés à la classe ouvrière, se planque une artère au nom rafraîchissant : la rue du Pôle-Nord. A l’angle de la rue Montcalm, explorateur du Canada, on déniche le restaurant Boréal.
A l’intérieur, nulle bise septentrionale mais une ambiance chaleureuse. C’est très parisien, avec cuisine ouverte et petites tables serrées. Quelques gastronomes solitaires ont déjà repéré l’endroit : un homme en bonnet noir et chemise à carreaux déjeune non loin d’une fille en hoodie gris et lunettes à monture transparente. Passé 13 heures, le restaurant est plein.
Devant chaque assiette, un brin de mimosa. Derrière le comptoir, un gros céleri-rave attend d’être épluché. Sur une étagère trône le guide culinaire d’Auguste Escoffier, saint patron séculaire de tous les restaurateurs. Philippine Jaillet officie auprès de son compagnon, Charles Neyers, à l’origine d’autres établissements situés aussi dans le 18e, comme La Traversée et Ramey’s Burger.
Une saveur cacaotée
Après une école d’art, la jeune femme a suivi un cursus de pâtisserie à l’école Ferrandi. C’est peut-être ce qui l’a amenée à mettre à la carte un plat au nom imprononçable qui relève presque d’un dessert et non d’une entrée. « La première fois que j’ai mangé un chawanmushi, c’était à Singapour. J’ai eu un énorme coup de cœur. » Ce flan aux œufs (mais sans lait ni sucre) se prépare normalement avec du dashi, le bouillon de base de la cuisine japonaise, souvent aromatisé aux algues ou à la bonite. Au Boréal, la cheffe utilise à la place une eau de champignons séchés (cèpes et shiitakés).
Servi chaud, son chawanmushi a cuit lentement à la vapeur. Il est onctueux, tel un tofu soyeux, et son arôme profond évoque la truffe. Des pickles de pholiotes et de chanterelles délivrent une pointe délicate d’acidité. Sous le flan, l’huile de ciboulette paraît vert fluo. Philippine Jaillet a ajouté à sa recette un praliné de cèpe qui apporte du sucré (discret) et une saveur cacaotée, au dire de certains clients. Sur le flan lui-même, de bons gros morceaux de chanterelles, shiitakés et eryngiis (une variété de pleurote) sont posés.
Cultivés toute l’année en cave, ils ont été bien saisis à la poêle, à la fois fermes et spongieux, tendres et goûteux. Le plat est assorti de cerfeuil pour emballer le tout. On avait mis le cap au nord, on s’est retrouvé loin vers l’est. Pour ses autres recettes, Boréal fait confiance aux idées françaises (oursins des Glénan, porc du Cantal…), sans oublier un clin d’œil à l’Italie. Ainsi, un affogato est parfait pour finir ce repas inventif : c’est une glace à la vanille qu’on arrose de café brûlant.
Le Boréal, 39, rue Montcalm, Paris 18e. Ouvert de 8 heures à minuit du mercredi au vendredi, de 10 heures à minuit le week-end. Chawanmushi de champignons : 14 €.