RSF dissipe les idées reçues dans l'affaire Julian Assange

À l'approche du "Jour X", l'audience des 20 et 21 février devant la Haute Cour de justice britannique dans le cadre de la procédure d'extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, Reporters sans frontières (RSF) passe en revue 12 idées reçues concernant les poursuites judiciaires du gouvernement américain contre lui.

 

  • Idée reçue n°1 : Julian Assange est un "traître" qui doit être jugé aux États-Unis.

Correction : Julian Assange n'est pas un citoyen américain, il n'a jamais vécu aux États-Unis et n'a aucun lien significatif avec ce pays. Il est citoyen australien, il vivait et travaillait à Londres lorsque le gouvernement américain a ouvert une procédure contre lui. Les charges retenues sont liées à la publication par WikiLeaks de documents d'intérêt public. L'extradition de M. Assange créerait un dangereux précédent qui pourrait mettre en danger d'autres éditeurs et journalistes dans le monde, quelle que soit leur nationalité. Fait inquiétant, le gouvernement américain a également déclaré que les protections du premier amendement ne s'appliqueraient pas à M. Assange car il n’est pas citoyen américain.

  • Idée reçue n°2 : Julian Assange est un lanceur d'alerte qui a divulgué des informations classifiées.

Correction : Julian Assange a joué un rôle différent de celui d'un lanceur d'alerte : il n'a pas divulgué lui-même des informations classifiées, mais a publié des informations qui lui avaient été divulguées par Chelsea Manning. Cette ancienne analyste de l'armée avait déjà purgé plus de sept ans de prison avant que le président Obama ne commue sa peine de 35 ans, déclarant qu'elle était "très disproportionnée par rapport à ce que d'autres auteurs de fuites ont reçu". S'il est extradé vers les États-Unis, Julian Assange sera le premier éditeur jugé en vertu de la loi sur l'espionnage (Espionage Act), qui ne prévoit pas la défense de l'intérêt public, ce qui signifie que toute personne accusée en vertu de celle-ci ne peut pas défendre ses actions comme servant l’intérêt public. Il risque ainsi une peine de 175 ans de prison.

  • Idée reçue n°3 : Si je ne crois pas que Julian Assange est un journaliste, je ne peux pas le défendre.

Correction : Journaliste, éditeur ou source journalistique, les points de vue divergent sur le statut de Julian Assange. Mais ce qui importe le plus, c'est la raison pour laquelle Julian Assange a été pris pour cible et les conséquences de son extradition et des poursuites engagées contre lui. RSF défend Julian Assange en raison de sa contribution au journalisme : la publication par WikiLeaks de documents classifiés a donné lieu à de nombreux articles d'intérêt public dans le monde entier. Les poursuites dont il fait l'objet pourraient avoir des conséquences alarmantes pour l'avenir du journalisme et porteraient un coup sans précédent à la liberté de la presse.

  • Idée reçue n°4 : La condamnation de Julian Assange n'aura pas d'impact plus large.

Correction : La condamnation de Julian Assange pourrait avoir un impact sur l'avenir du journalisme dans le monde et sur notre droit de savoir. Il serait le premier éditeur jugé en vertu de la loi américaine sur l'espionnage, qui ne prévoit pas de défense de l'intérêt public et qui a grand besoin d'être réformée. Sa condamnation ouvrirait la voie à des poursuites similaires envers d'autres personnes qui publient des articles basés sur des fuites d'informations classifiées, créant ainsi un dangereux précédent pour le journalisme. Cela mettrait en danger de nombreux médias et journalistes et pourrait avoir un effet dissuasif et d’autocensure sur les articles d'intérêt public. Enfin, le droit à l’information du public serait donc affecté.

  • Idée reçue n°5 : Julian Assange a sciemment mis des personnes en danger.

Correction : Julian Assange n'a jamais sciemment mis qui que ce soit en danger, et il a cherché de manière proactive à protéger toute personne susceptible d'être lésée à la suite de la publication de l'ensemble de données non expurgées, dans une situation inhabituelle qui échappait à son contrôle. Ce n'est pas WikiLeaks qui a initialement publié l'ensemble de données non expurgées, et lorsque Julian Assange a appris que la publication était imminente, il a demandé de toute urgence au gouvernement américain de prendre des mesures pour protéger toute personne susceptible d'être lésée. De plus, WikiLeaks a travaillé en partenariat avec une coalition de médias de référence (The New York Times, The Guardian, Le Monde, Der Spiegel et El País) afin de traiter les informations divulguées de manière journalistique. Le mot de passe a été divulgué publiquement par l'un des médias partenaires et d'autres parties ont ensuite eu accès à l'ensemble de données non expurgées et l'ont publié. WikiLeaks l’a ensuite publié. À l’exception de Julian Assange, le ministère de la Justice n'a jamais poursuivi les personnes ayant publié les données. Jusqu'à présent, le gouvernement américain n'a pas apporté la preuve qu'un préjudice réel avait été causé à une personne à la suite de la publication. 

  • Idée reçue n°6 : Il n'y a pas d'urgence dans l'affaire Julian Assange, qui dure depuis très longtemps.

Correction : Les poursuites engagées par le gouvernement américain contre Julian Assange ont atteint le plus haut point, et la possibilité de son extradition est imminente. Alors que l'affaire a débuté il y a plus de 13 ans, à la suite de la publication par WikiLeaks de plus de 250 000 documents classifiés ayant fuité en 2010, la procédure d'extradition arrive maintenant à son terme devant les tribunaux britanniques. L'audience des 20 et 21 février devant la Haute Cour britannique marque le début de la fin de cette procédure, car les motifs rejetés par les juges ne peuvent plus faire l'objet d'un appel au Royaume-Uni. S’ils sont tous rejetés, Julian Assange pourrait être extradé très rapidement. Son seul recours serait alors de s'adresser à la Cour européenne des droits de l'homme.

  • Idée reçue n°7 : Julian Assange est à l'ambassade de l'Équateur à Londres.

Correction : Julian Assange est détenu dans une prison de haute sécurité depuis près de cinq ans. Après avoir passé près de sept ans à l'ambassade d'Équateur à Londres, où il avait cherché refuge pour échapper à une éventuelle extradition vers les États-Unis, Julian Assange a été expulsé de l'ambassade en avril 2019 et arrêté pour violation des conditions de sa libération sous caution en 2012, ce qui lui a valu une peine disproportionnée de 50 semaines à la prison de Belmarsh, située dans le sud-est de Londres. Il est resté en détention à Belmarsh depuis lors, en attendant l'issue de la procédure d'extradition. Sa dernière demande de libération sous caution a été rejetée en janvier 2021.

  • Idée reçue n°8 : Julian Assange a été protégé pendant les années où il s'est réfugié à l'ambassade d'Équateur.

Correction : Julian Assange est resté une cible active du gouvernement américain et de ses mandataires tout au long de ses années passées à l'ambassade d'Équateur à Londres. Un rapport d'enquête publié d'abord par le site d’information YahooNews a révélé des discussions alarmantes de responsables de la CIA sous l'administration Trump, qui évoquaient la possibilité de kidnapper ou même d’assassiner Julian Assange. M. Assange et ses visiteurs – y compris son équipe juridique et des journalistes – ont par ailleurs été activement surveillés par une société espagnole chargée d'assurer la sécurité de l'ambassade. De plus, le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a estimé que la période passée par Julian Assange à l'ambassade d'Équateur constituait une détention arbitraire. L'ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a quant à lui constaté que M. Assange présentait les symptômes d'une exposition prolongée à la torture psychologique. Après près de sept ans, l'ambassade a fini par évincer M. Assange, permettant à la police britannique de l'arrêter, et les représentants du gouvernement équatorien ont assuré qu’Assange aurait eu des comportements absurdes pendant son séjour à l'ambassade, ce qui a alimenté d'intenses campagnes de diffamation contre lui dans les médias. Les fonctionnaires de l'ambassade auraient également retiré le rasoir de M. Assange plusieurs semaines auparavant, ce qui explique son apparence négligée sur ses dernières photos publiques, prises lors de son expulsion forcée de l'ambassade et de son arrestation, qui circulent fréquemment dans les médias.

  • Idée reçue n°9 : Les droits de l'homme de Julian Assange ont été respectés.

Correction : Julian Assange a été victime de violations massives de ses droits de l'homme dans le cadre des poursuites engagées contre lui par le gouvernement américain, de sa surveillance à l'ambassade d'Équateur et du traitement qui lui a été réservé par les tribunaux et le système pénitentiaire britanniques. En ciblant Julian Assange et aucun autre éditeur pour la republication de l'ensemble de données non expurgées en 2010 et en le poursuivant sans relâche pendant 13 ans, le gouvernement américain l'a choisi pour une persécution judiciaire. À l'ambassade d'Équateur, les conversations d'Assange avec ses avocats, légalement soumises à la confidentialité, ont été surveillées, et les appareils des journalistes qui lui ont rendu visite ont été trafiqués. À la prison de Belmarsh, pendant une longue période au cours de la pandémie de Covid-19, ses droits de visite ont été suspendus et il a parfois été confiné dans sa cellule en raison de la circulation du virus dans son bloc pénitentiaire. Au cours de la procédure d'extradition, M. Assange a subi une fouille à nu, apparemment punitive et les autorités pénitentiaires ont confisqué ses documents, pourtant protégés par la loi. Bien qu'il ait demandé à se présenter en personne au tribunal à chaque audience, Julian Assange n'a pu le faire depuis l'audience de libération sous caution du 6 janvier 2021. Il a seulement été autorisé à participer à distance, à partir d'une liaison vidéo en prison.

  • Idée reçue n°10: Le président Obama ou le président Biden a engagé la procédure d'extradition contre Julian Assange.

Correction : Bien qu'Assange soit resté à l'ambassade d'Équateur à Londres pendant la présidence Obama, ce dernier ne l'a pas poursuivi activement. C'est le ministère de la Justice de Trump qui a déposé le nouvel acte d'accusation contre Julian Assange et qui a commencé à œuvrer activement pour son extradition. Lorsque le président Biden est entré en fonction, son ministère de la Justice a poursuivi l'appel lancé par celui de Trump, à la suite de la décision de première instance du tribunal britannique d'empêcher l'extradition d'Assange pour des raisons de santé mentale. Cette décision a ensuite été annulée par la cour d'appel.

  • Idée reçue n°11 : Les poursuites engagées par le gouvernement américain contre Julian Assange concernent l'élection présidentielle américaine de 2016.

Correction : Ce procès est uniquement lié à la publication par WikiLeaks, en 2010, de plus de 250 000 documents militaires et diplomatiques classifiés qui ont fuité, connus sous le nom de “Cablegate”, “Afghan War Diary” (“journal de la guerre d'Afghanistan”) et “Iraq War Logs” (“journaux de la guerre d'Irak”). Le nouvel acte d'accusation contre Julian Assange repose sur 18 chefs d'accusation – 17 au titre de la loi sur l'espionnage et un au titre de la loi sur la fraude et l'abus informatiques. Les poursuites ne sont pas liées aux activités de WikiLeaks en 2016 ou à tout autre moment.

  • Idée reçue n°12 : Une procédure est en cours contre Julian Assange en Suède.

Correction : Il n'y a pas de procédure ouverte contre Assange en Suède. Les accusations de viol portées contre lui ont fait l'objet d'un examen approfondi. Elles ont été contestées, notamment par l'ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, et Assange a nié ces accusations. Il n'y a jamais eu d'inculpation pénale et l'enquête menée par le ministère public suédois sur M. Assange a été abandonnée en novembre 2019, en raison d'un manque de preuves. Les poursuites engagées par le gouvernement américain contre Assange, qui reposent sur les publications de WikiLeaks, sont totalement distinctes des accusations portées contre lui en Suède.

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